MiraMIRAMémoire des Images Réanimées d'AlsaceCinémathèque régionale numérique
À l'occasion de l'Exposition universelle de 2025 organisée du 13 avril au 13 novembre 2025 à Osaka (Japon), MIRA propose de revenir en images sur l'Exposition internationale des arts et des techniques appliqués à la vie moderne ayant eu lieu en 1937 à Paris. Espérant apaiser les tensions internationales et encenser la modernité esthético-technique, cette manifestation a au contraire exacerbé les divisions idéologiques de son temps. Si les films amateurs de Gustave Ebeling, Alphonse Farine et Robert C. Weiss rendent implicitement compte de ces rivalités, ils documentent avant tout le caractère exceptionnel de cette exposition universelle.
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Plan général de l'Exposition internationale des arts et des techniques appliqués à la vie moderne à Paris en 1937 © L'Illustration, mensuel numéro hors-série mai 1937 |
En 1934, la loi du 6 juillet proclame l'organisation d'une exposition internationale à Paris. Élu à sa tête, le commissaire général Edmond Labbé, fervent défenseur de la symbiose entre l'art et la technique, entend ainsi y mêler le beau à l'utilitaire. Après le krach boursier de 1929 et les tensions politiques (guerre civile espagnole, famines soviétiques, seconde guerre sino-japonaise, campagne d'Abyssinie...), la couleur bleue, symbole de paix et de sérénité, doit impérativement dominer. Les 55 participants à l'Exposition internationale des arts et des techniques appliqués à la vie moderne, issus des cinq continents, se répartissent dans les jardins du Trocadéro et près de la tour Eiffel. L'île aux Cygnes concentre quant à elle l'ensemble des colonies françaises comme étrangères. Un parc d'attractions bâti à proximité du Grand Palais héberge notamment une fête foraine, des montagnes russes, des petits trains et un stand pour les essais en parachutisme. Cette excentricité a été particulièrement enregistrée par nos réalisateurs amateurs : Gustave Ebeling, Alphonse Farine et Robert C. Weiss. Le Palais d'Iéna, abritant à l'origine le musée national des Travaux publics et qui deviendra à sa suite le siège du Centre économique et social, est construit pour l'occasion, le palais de Chaillot remplace également celui de Trocadéro. Quant à la tour Eiffel, elle-même instituée à l'Exposition universelle de 1889, les arcades de son premier étage sont démolies à des fins de modernisation. Comme hôte de cérémonie, la capitale française doit à tout prix épater l'assemblée et se montrer à la hauteur de son titre de grande puissance occidentale.
Gustave Ebeling, fonds Pfennig © MIRA
Le mot d'ordre initial de l'événement - mettre en avant la vie moderne - n'est pourtant pas unanimement respecté, chacun en ayant une conception propre. On remarque ainsi un retour franc à la stylistique et à l'architecture néoclassiques, porteuses d'un imaginaire impérial : chaque éminence cherche effectivement à impressionner son voisin par la monumentalité de ses structures. Le jour de l'ouverture de l'Expo 37, les deux pavillons principaux - l'Allemagne et l'URSS -, qui se font symboliquement face de part et d'autre de la tour Eiffel, reçoivent la médaille d'or quand Le Triomphe de la Volonté de Leni Riefenstahl (1935), film de propagande nazie qui retranscrit le congrès du Parti national-socialiste des travailleurs allemands à Nuremberg en 1934, obtient le prix du meilleur documentaire. Ces récompenses trahissent une complaisance certaine face à la montée du fascisme et des totalitarismes dans les années 1930.
On connaît maintenant le rôle de l'architecture dans la propagande nationaliste : elle participe grandement à asseoir l'idéologie d'un régime. Cette instrumentalisation était d'ailleurs déjà palpable dans les Jeux olympiques de 1936 à Berlin. En mettant en avant les progrès techniques propres à chaque pays, un événement comme l'Expo 37 entraîne de fait une hiérarchisation entre les représentants : on y fait avant tout l'apanage de ses savoir-faire et de la richesse de sa culture dans un esprit de compétition. Malgré la diversité des complexes mis à disposition du public, les cinéastes s'intéressent aux mêmes objets et les filment de manière semblable : panoramiques et vues larges depuis des spots identiques, contre-plongées bougées sur les mêmes édifices... Cet automatisme filmique nous renseigne aussi bien sur la sensibilité et la provenance communes de ces cinéastes alsaciens que sur l'optimisation spatiale des pavillons. Certaines installations architecturales font naturellement naître des sentiments contradictoires par leur dimension excessive. Les scénographes de la manifestation contrôlent l'espace visuel en décidant d'attirer l'attention sur les constructions les plus sensationnelles. Ici, le film amateur, s'il fait certainement part d'intérêts individuels, dépend grandement des choix de mise en scène des concepteurs misant sur le spectaculaire. On y relève par exemple l'absence surprenante de Guernica (1937), la fresque du peintre cubiste Pablo Picasso créée pour le pavillon espagnol. Celle-ci représente les habitants de la ville homonyme sous les bombardements de l'aviation allemande et italienne après l'appel à l'aide de Franco en pleine guerre d'Espagne. Sous le feu des critiques de ses contemporains car elle condamne l'attaque aérienne survenue seulement un mois avant l'Expo 37, la peinture a été complètement éclipsée par nos trois réalisateurs.
Les images de Gustave Ebeling, Alphonse Farine et Robert C. Weiss ont d'abord en commun de filmer la tour Eiffel depuis le Trocadéro - lieu déjà réputé pour sa vue. Leurs plans d'ensemble transforment les visiteurs en de minuscules points noirs mobiles et donnent une idée de la différence d'échelle entre les humains et les bâtiments ainsi que celle entre les pavillons eux-mêmes. Filmés à travers des contre-plongées qui réitèrent la verticalité des rapports entre l'État et le peuple, les palais allemands et soviétiques, surmontés de leur statue allégorique, donnent le vertige. Situés aux pieds de la tour Eiffel, ils menacent déjà les démocraties européennes. Rappelons qu'avant l'opération Barbarossa qui officialise l'invasion du territoire soviétique par les Allemands en juin 1941, le ralliement de l'URSS aux puissances de l'Axe est négocié.
Haut de 54 mètres, couronné d'un aigle tenant une croix gammée dans ses serres, le pavillon du Troisième Reich a été conçu par Albert Speer, architecte en chef du NSDAP et futur ministre des Armements. Il a fallu un nombre important d'ouvriers allemands d'outre-Rhin pour bâtir ce mastodonte d'acier recouvert de dalles de pierre et de plaques de céramique. Pour couronner l'ensemble, le sculpteur austro-allemand Joseph Thorak façonne plusieurs statues de nus athlétiques dont La Famille qui respectent fidèlement les canons de la race aryenne. Au moment même où l'Allemagne participe à une manifestation consacrée aux arts et aux techniques, Hitler inaugure à la Haus der deutschen Kunst de Munich une grande exposition qui confronte les oeuvres d'art moderne dites dégénérées aux productions correspondant aux critères esthétiques du nazisme.
Quant au pavillon de l'URSS réalisé par Boris Iofane, maquettiste de l'impossible Palais des Soviets, il est entièrement constitué de marbre. Sur sa façade de 160 m, les inscriptions « 1917-1937 » font écho aux 20 ans de la Révolution russe et donc au vingtième anniversaire du pays. Le groupe sculpté L'Ouvrier et la Kolkhozienne a été créé par l'artiste russe Vera Ignatievna Moukhina et se compose de deux figures titanesques : une paysanne du kolkhoze (système de collectivisation agricole rendu obligatoire par Staline et à l'origine des famines soviétiques) et un ouvrier brandissant respectivement le faucille et le marteau - les symboles communistes des deux branches du prolétariat (agriculture et industrie).
Robert C. Weiss, fonds Weiss © MIRA
Gustave Ebeling, fonds Pfennig © MIRA
Alphonse Farine, fonds Willer © MIRA
L'Expo 37 sert ainsi grandement de vitrine à la propagande. La France ne manque pas non plus de souligner l'envergure de son territoire colonial, sonnant ici comme une démonstration de force. L'Indochine et l'Afrique française y sont notamment représentés. Les souks tunisiens et le théâtre marocain - « Le Gourbi » - où performent danseurs berbères, chleuhs et un sorcier rifain, réjouissent les touristes métropolitains en quête d'exotisme. Robert C. Weiss se balade ainsi dans les quartiers bédouins, prenant le soin de filmer l'énorme masque africain trônant sous le drapeau français, quand Alphonse Farine prête attention aux balades à dos de chameau menés par les « Français musulmans d'Algérie » dans le Centre régional de l'Expo 37.
Robert C. Weiss, fonds Weiss © MIRA
Alphonse Farine, fonds Willer © MIRA
Orienté à l'ouest du Champ-de-Mars, sur le quai de Seine, entre l'île aux Cygnes et la tour Eiffel, le Centre régional accueille les pavillons de vingt-cinq régions françaises. Nos trois réalisateurs alsaciens arpentent naturellement les reconstitutions des demeures et manoirs d'Alsace. À l'occasion des 20 ans de son retour à la France, l'Alsace occupe une place prépondérante avec les Ponts-Couverts de Strasbourg, son canal, la rue du Bain-aux-Plantes, les vieilles maisons de Colmar, Kaysersberg, Thann, l'auberge de Riquewihr, des dioramas de la cathédrale de Strasbourg et du mont Sainte-Odile. Au détour d'une séquence, on aperçoit également l'enseigne de la zone dédiée à Lilliput, royaume imaginaire abritant des individus de très petite taille qui se produisent sur scène pour amuser les visiteurs. Divertissement forain éthiquement critiquable qui ne disparaîtra pas pour autant à l'Expo 58 de Bruxelles, au cours de laquelle un zoo humain censé représenter le Congo belge sera présenté au public.
Alphonse Farine, fonds Willer © MIRA
Les images d'archives amateurs tournées à l'Expo 37 mettent assurément en avant les prestiges ingénieurs et techniques de la manifestation internationale. Y germent pourtant en filigrane les prémisses des conflits armés de la Seconde Guerre mondiale. Entre 1939 et 1940, avant l'attaque de Pearl Harbor par les Japonais, les États-Unis présideront à New York une nouvelle exposition universelle qui connaîtra un fort succès malgré les débuts de la guerre. Il faudra néanmoins attendre l'année 1949, soit dix ans plus tard, pour qu'une manifestation universelle rassemble les nations du monde entier - ou presque - à Port-au-Prince, à Haïti, avec pour thème le « festival de la Paix ».
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