MiraMIRAMémoire des Images Réanimées d'AlsaceCinémathèque régionale numérique
Ce film est l’un des premiers tournés par Robert Weiss, en noir et blanc et en couleur. Cette dernière apparaît un an plus tôt sur pellicule 8mm, format privilégié du cinéaste, avec le Kodachrome en 1935. On peut imaginer que sa production était peu développée au moment où Robert Weiss est à Berlin. Peut-être a-t-il profité de ce voyage pour se procurer de la pellicule couleur dans la capitale allemande, probablement mieux dotée qu’à Strasbourg ? À une époque où les captations diffusées à la télévision et au cinéma étaient en noir et blanc, la présence de la couleur rend ces images d’autant plus exceptionnelles et plus palpable encore le choc ressenti par le cinéaste à la vue d’une capitale écrasée par les drapeaux nazis.
Les Jeux olympiques de Berlin sont les 11èmes Jeux olympiques d’été depuis leur renaissance sous une forme moderne à Athènes en 1896, grâce au tout jeune Comité international olympique du baron Pierre de Coubertin. Ils ont lieu dans un contexte politique allemand et européen tendu depuis l’avènement d’Hitler au pouvoir trois ans plus tôt. Si Berlin avait déjà été choisie en 1931 pour accueillir cette édition des Jeux, le IIIe Reich s’est pleinement emparé de la compétition internationale, organisée par le Bureau des Sports du Reich, pour en faire sa vitrine trompeuse, à grand renfort de propagande exposée sur les bâtiments construits, les cérémonies, les médias, la compétition. Ce n'est que logique puisque dès son accession au pouvoir en 1933, le IIIe Reich se saisit rapidement du sport à des fins politiques, s'en servant au passage pour promouvoir le culte du corps athlétique et parfait de la race aryenne. Le parti place les associations sportives sous sa tutelle : les Juifs et Tsiganes en sont exclus.
Le film de Robert Weiss s’ouvre dans ce contexte à Kehl, où il débute son voyage, accompagné d’un ami. Dès les premières images, on comprend la puissance de la machine de propagande de l’État allemand et pourquoi le cinéaste, pourtant familier de cette ville frontalière, décide d’y faire tourner sa caméra : une banderole de bienvenue décorée des anneaux olympiques accueille le visiteur tandis que des dizaines de croix gammées pavoisent les façades. Le ton est donné. Ces ornements se font toutefois plus discrets à Hambourg que visite Robert Weiss à la fin du film : la communication du Reich est stratégiquement placée aux villes frontières et à Berlin bien sûr, qui croule littéralement sous ce décorum. Si les anneaux olympiques y trouvent une bonne place, la capitale est parée des couleurs rouges et noires du drapeau portant la croix gammée.Une partie du film de Robert Weiss est constitué de longs plans sur les façades et monuments de la ville recouverts de ces bannières qui ont certainement surpris le cinéaste par leur nombre. Dans les yeux de son compagnon se lit la surprise, et peut-être la tristesse, au passage de la porte de Brandebourg pavoisée jusqu’à l’écœurement de drapeaux rouges, noirs et blancs. Les deux hommes ne se doutaient alors pas qu’ils reverraient ces terribles emblèmes quatre ans plus tard, dans Strasbourg annexée.
Visiteurs dans la capitale allemande pavoisée. Robert Weiss, fonds Weiss © MIRA |
La démonstration de force nazie s’illustre également par de nombreux défilés durant ces Jeux olympiques, comme ceux que filme succinctement Robert Weiss dans les rues de la ville. Partout où sa caméra se dirige, on note une forte présence militaire ou paramilitaire. Il n'est nul question de sport ici : il faut montrer aux visiteurs et aux nations étrangères la force de l’État allemand ainsi que l’adhésion de la population aux valeurs du nouveau régime. Ainsi, le cinéaste filme plusieurs défilés de marins, de SA, de soldats de la Wehrmacht ou un regroupement des jeunesses hitlériennes, non encore obligatoires en 1936. Aux abords du stade olympique, Robert Weiss filme également un certain nombre de Mercedes-Benz 770 luxueuses et confortables, les véhicules de fonction favoris des dirigeants nazis, garées en rang.
Sur la Pariser Platz, de multiples soldats, SS et SA sont en rang. Les spectateurs au bord de la route entièrement dégagée attendent solennellement, peut-être le passage du Führer se rendant au stade pour assister à une compétition. Les Jeux olympiques sont aussi l’occasion de montrer au monde entier la puissance du Reich et l'autorité incontestée de son chef.
Défilé de SA. Robert Weiss, fonds Weiss © MIRA |
Car plus que la célébration du sport et de la compétition, l’enjeu de ces Jeux olympiques est bien de démontrer la grandeur et la modernité de l’Allemagne du IIIe Reich, tout en masquant la politique agressive et antisémite de l’état fasciste afin d’attirer un maximum de spectateurs, témoins de cet étalage. En effet, les autorités ont pris soin de retirer les affiches antisémites avant l’ouverture des Jeux, tandis que les journaux diminuent leurs pamphlets racistes. On autorise même une athlète juive, Hélène Mayer, à représenter l’Allemagne durant le tournoi d’escrime[1]. Cette image pacifiée et lissée convainc d’ailleurs la majorité des journalistes sur place : la mécanique propagandiste du IIIe Reich est une machine parfaitement huilée[2].
Et le pari est réussi. Plus de trois millions de spectateurs se rendent aux Jeux olympiques de Berlin pour assister à l’une des cent vingt-neuf épreuves s’y déroulant. Quarante-neuf nations y participent, malgré la grande menace de boycott et la tenue de jeux alternatifs à Barcelone (dits "contre-jeux populaires") auxquels souhaitent participer la France, mais qui furent annulés suite au déclenchement de la guerre d’Espagne. La France qui tient d’ailleurs une bonne place dans ces Jeux de Berlin malgré les tensions politiques alors. La délégation française compte environ deux-cent athlètes et la présence de Robert Weiss indique que des visiteurs français se sont rendus sur place. On imagine qu’ils furent un certain nombre vu la proximité géographique des deux pays. Le cinéaste filme d’ailleurs au-dessus d’une boutique, deux drapeaux français noyés sous les croix gammées. Fait amusant, son comparse ne se départit quasiment jamais de son béret, symbole hautement français, dont le port sera interdit dans l’Alsace-Moselle annexée.
Les spectateurs sur place ne sont pas les seuls à avoir été visés par la propagande allemande. Ces Jeux olympiques, largement couverts par des diffusions radiophoniques internationales, sont diffusés à la télévision pour la première fois de l’histoire. Des salles dédiées aux retransmissions sont ouvertes gratuitement dans tout Berlin[3]. Lorsqu’il se trouve dans le stade olympique pour la cérémonie de clôture, Robert Weiss filme d’ailleurs une équipe d’opérateurs professionnels maniant une caméra, à moins qu’il ne s’agisse de l’une des équipes de la réalisatrice Leni Riefenstahl ? Cette dernière, à la demande d’Adolf Hitler, filme ces Jeux pour son documentaire de propagande Olympia (Les Dieux du Stade), qui restera dans les annales du cinéma. Avec un budget pharaonique, cette réalisation a révolutionné les prises de vues sportives grâce à de nombreuses innovations techniques et des prises de vues novatrices, comme le travelling. Le corps athlétique y est évidemment magnifié.
Flamme olympique et équipe d'opérateurs lors de la cérémonie de clôture. Robert Weiss, fonds Weiss © MIRA |
Ce sont aussi ces Jeux olympiques qui introduisent la tradition du relais de la torche olympique. Depuis Olympie, elle aura parcouru 3000 kilomètres avant d’embraser le chaudron dans le stade de Berlin le 1er août 1936. Cette flamme se retrouve en bonne place dans le film de Robert Weiss qui la filme dans le stade avant la cérémonie de clôture et également dans le quartier du Lustgarten, où un second chaudron fut allumé à partir du flambeau olympique. Le parcours de la torche depuis la Grèce jusqu’au lieu de déroulé des Jeux fut conservé par le Comité International Olympique et perdure aujourd’hui. Le Comité abandonna toutefois le salut olympique à la suite de ces jeux. Trop similaire au salut fasciste, il fut l’objet de méprises quant à la fidélité de quelques délégations au IIIe Reich, la française notamment.
Ces Jeux sont l’occasion d’illustrer le lien entre les Aryens et leurs supposés descendants, à travers l’utilisation de l’esthétique de la Grèce antique, admirée par les dirigeants du IIIe Reich. Plusieurs statues néo-antiques ont donc été installées à Berlin, comme celles que filme Robert Weiss près de la Porte de Brandebourg. Les bâtiments monumentaux imaginés par l’architecte Werner March, membre du parti et du comité d’organisation de ces Jeux, rappellent dans leur forme les constructions antiques, à commencer par l’austère Olympiastadion, le stade olympique, pouvant recevoir plus de 100 000 spectateurs. Un virage était dédié aux S.A, que l’on remarque dans le film, agglutinés autour de la flamme olympique au moment de la cérémonie de clôture.
Le bâtisseur a également pensé la Schwimmstadion, la piscine olympique, d’une capacité de 18 500 spectateurs, ce qui était remarquable pour l’époque. La construction comprend plusieurs plateformes de plongeons de différentes hauteurs (de 3 à 10 mètres), permettant d’accueillir les compétitions de plongeon, de natation et de water-polo. Innovation pour l’époque, elle intégrait des systèmes de chronométrage automatique. Robert Weiss s’y rend certainement à la fin des compétitions et y filme des personnes nageant et plongeant en toute tranquillité, contemplés par quelques hauts fonctionnaires nazis. En 1936, la majorité de la population ne sait pas nager, aussi s'agit-il de séances d’entraînement de compétiteurs, ce qui serait corroboré par la qualité des plongeons.
Parmi les installations olympiques filmées par Robert Weiss, qui profite de sa présence pour visiter Berlin et ses alentours, on peut aussi apercevoir un lieu d’entraînement d’athlètes. Il s’agit peut-être d’une partie du village olympique, érigé à l’Elstal, qui pouvait accueillir 4000 personnes. Depuis une embarcation, Robert Weiss et son ami observent des sportifs courir sur les berges, des baraquements et des kayakistes à l'entraînement.
Si Robert Weiss relève particulièrement le décorum entourant ces Jeux olympiques, il ne filme quasiment pas le déroulé des compétitions. Présent sur place entre le 13 et 17 août, il a pu y avoir accès. Avait-il seulement le droit d’introduire une caméra dans les lieux en question ? Certainement, puisque qu’il a filmé à l’intérieur du stade olympique avant la cérémonie de clôture.
En effet, la seule rencontre que le cinéaste conserve sur pellicule est l’épreuve individuelle de sauts d’obstacle à cheval, qui a lieu juste avant la cérémonie de clôture le 16 août 1936 dans le stade olympique. Il en filme deux cavaliers, dont l’un chutant lourdement après une haie. Peut-être s’agit-il du grand favori et tenant du titre, le baron japonais Takeichi Nishi sur son cheval Uranus. Une théorie suggère que la chute fut volontaire du fait de la future alliance des deux nations, permettant à l’Allemand Kurt Hasse de remporter la victoire. Ironie du sort, les deux hommes seront tués lors de la Seconde Guerre mondiale quelques années plus tard. Takeishi Nishi sera l'un des personnages principaux de Lettres à Iwo Jima de Clint Eastwood[4].
Quant à Robert Weiss, placé en hauteur dans le stade, profite de l’ultime épreuve de ces jeux pour effectuer un panoramique sur le stade olympique rempli. L’impressionnante foule composée de près de cent mille spectateurs, effectue le salut nazi en direction de la tribune officielle où se tiennent Adolf Hitler et ses proches collaborateurs. On imagine sans peine l’impression déconcertante qu’a dû laisser ce spectacle au cinéaste.
Tribune officielle dans le stade olympique lors de la cérémonie de clôture. Robert Weiss, fonds Weiss © MIRA |
De la cérémonie de clôture en elle-même, Robert Weiss ne conserve que peu d’éléments puisqu’elle s’est déroulée de nuit : il aurait été impossible de voir quoi que ce soit à l’image. À la fin de la séquence, on distingue toutefois les formes des porteurs de drapeaux et cinq porteurs avançant lentement avec le drapeau olympique retiré de son mât.
Ainsi, le film tourné par Robert Weiss montre sans fard à quel point ces Jeux olympiques ont été instrumentalisés pour servir le IIIe Reich. Ils sont d’ailleurs restés dans l’histoire comme une utilisation exemplaire du sport à des fins politiques. Plus que la compétition, le cinéaste filme avec étonnement les apparats et mises en scènes du régime nazi, comme si le sport avait été relégué au second plan. Certes, l’Allemagne brilla durant ces jeux olympiques, remplissant d'orgueil son dictateur avec quatre-les vingt-neuf médailles remportées. Mais l'Histoire retiendra que l’athlète ayant le plus marqué ces Jeux et l’histoire du sport fut sans conteste Jesse Owens. Mettant à mal toutes les théories de supériorité de la race aryenne, l’homme remporta quatre médailles d’or en athlétisme, éclipsant même le gymnaste allemand Konrad Frey, athlète le plus médaillé de cette édition. À tel point que Leni Rifenstahl intégra de nombreuses images du sportif noir américain dans son film Olympia.
Si le Reich réussit à leurrer la majorité des journalistes sur son ambition durant ces Jeux Olympiques, une fois ceux-ci terminés il ne fut pas long à mettre à l’œuvre sa politique raciste et exterminatrice, et à continuer d'utiliser le sport à des fins politiques. À commencer par l'exclusion définitive des Juifs et des Tsiganes de toutes les associations sportives.
SOURCES
Les jeux d’Hitler, Berlin 1936. Jérôme Prieur, Arte France, Roche Productions, SRTV. 2016
Lumni enseignement. JO de Berlin en 1936 : l'Allemagne affirme sa puissance
https://enseignants.lumni.fr/parcours/1279/jo-de-berlin-en-1936-l-allemagne-affirme-sa-puissance.html
Site officiel des jeux olympique. Olympic Games Berlin 1936
https://olympics.com/fr/olympic-games/berlin-1936
Holocaust museum. Inauguration des jeux de Berlin, le relai de la flamme olympique.
https://encyclopedia.ushmm.org/content/fr/article/the-nazi-olympics-berlin-1936-inauguration-of-the-olympic-torch-relay
Havemann, N. (2017). Le sport dans l’Allemagne nationale-socialiste en guerre. Guerres mondiales et conflits contemporains, 268, 61-74. https://doi.org/10.3917/gmcc.268.0061
[2] Selon un article du Monde, le New-York Times souligne alors « un nouveau point de vue sur le IIIe Reich » lors de ces J.O. https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2024/05/05/le-relais-de-la-flamme-olympique-est-il-une-invention-des-nazis_6231597_4355770.html
[3] https://olympics.com/fr/olympic-games/berlin-1936
[4] (ref : Vincent Dupont, « Des manèges au feu, des cavaliers dans la guerre », Histomag'44, septembre 2012, p. 6-12 (lire en ligne [archive], consulté le 14 octobre 2015).
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