MiraMIRAMémoire des Images Réanimées d'AlsaceCinémathèque régionale numérique
Née en 1934 à Strasbourg, Solange Fernex est une figure majeure du mouvement écologiste français et alsacien. Élue députée au Parlement européen en 1989, elle est à l’origine, aux côtés d’Antoine Waechter, du premier parti écologiste français : Écologie et survie, fondé en 1973. Munie de sa caméra Super 8, elle n’a cessé de documenter, des années 1970 à 1980, les mobilisations contre l’industrialisation et la nucléarisation du territoire rhénan. Elle laisse derrière elle une vingtaine de films d’une grande richesse pour comprendre et historiciser le mouvement anti-nucléaire français, mais aussi étranger.
Le fonds Fernex révèle notamment la place centrale que tient l’Alsace dans l’émergence d’une conscience écologiste, et sa traduction politique en France. Celle-ci puise ses sources dans les particularités mêmes du territoire. En effet, traversé par le Rhin, il est un espace privilégié pour le refroidissement des centrales nucléaires et fait ainsi l’objet, au cours des années 1970, d’un vaste plan d’industrialisation. Un programme qui s’esquisse aussi sur l’autre versant du fleuve, en Allemagne et en Suisse. De chaque côté du Rhin, s’expriment alors les mêmes préoccupations, et les mobilisations citoyennes sont largement transfrontalières, caractérisant le mouvement écologiste de cette période.
C’est en 1974, dans la communauté alsacienne de Marckolsheim, que l’on peut situer la première mobilisation d’ampleur. En 1973, l’entreprise allemande CWM (Chemische Werke München) est à l’origine d’un projet d’usine de stéarates de plomb, destinée à la production d’objets en plastique. Réunissant villageois·e·s, paysan·ne·s, membres du monde associatif mais aussi Suisses et Allemand·e·s, les opposant·e·s au projet occupent le site le 20 septembre 1974 pour empêcher le commencement des travaux.
Considérée aujourd’hui comme la première ZAD (Zone à défendre), cette occupation historique est largement documentée par Solange Fernex qui y consacre pas moins de quatre films. Rembobinant la chronologie des événements, elle relate les différentes étapes de cette opposition dans ses films : le blocage de la clôture érigée par les industriels pour empêcher les entraves au chantier, l’aménagement du campement par les militant·e·s et leur organisation au quotidien. Services de cuisine et de traitement des déchets, stands d’informations et mise en place d’une Université populaire, installation de dortoirs et de gardes d’enfants, concerts et spectacles, c’est toute une vie communautaire et solidaire qui s’expérimente au jour le jour.
Cette solidarité s’exprime par une des premières grandes manifestations communes franco-allemandes depuis la Seconde Guerre mondiale. Elle s’incarne sur le terrain par la construction de la première Maison de l’Amitié (Frendschaft’sHüs en alsacien) ; symbole d’une nouvelle union, elle se fonde sur le partage et la redécouverte d’une culture commune : l’alémanique.
La Maison de l'Amitié à Marckolsheim - 1974 |
Après deux mois d’occupation, les militant·e·s sortent finalement vainqueur·se·s de cette première bataille avec l’abandon du projet en 1975.
Fort·e·s de cette victoire, les militant·e·s traversent la frontière un an plus tard pour s'installer dans la forêt de Wyhl, en Allemagne, où un projet de centrale nucléaire tend à se concrétiser.
Annoncé en 1973 par le gouvernement de Bade-Wurtemberg, le chantier débute en février 1975. Quelques semaines plus tard, le 18 février, le terrain est occupé par des centaines de manifestants. Évacuées le 20 février par les forces de l'ordre, ce sont 28 000 personnes qui, trois jours plus tard, se mobilisent pour reprendre le site. Plusieurs séquences filmées par Solange Fernex témoignent de ces événements, notamment de la violente intervention policière (jets d’eau et bombes lacrymogènes) visant à déloger les militant·e·s. Après huit mois d’occupation, ces dernier·e·s gagnent une nouvelle victoire avec l’annonce de l’interdiction du projet en 1977.
Manifestation à Wyhl - 1975 |
En Suisse, ce sont sur les sites de Gösgen et Kaiseraugst que se poursuivent manifestations et occupations. Si la centrale nucléaire de Kaiseraugst ne voit pas le jour, celle de Gösgen entre en service en 1979 et constitue ainsi la troisième centrale du pays. En France, c’est à Fessenheim et Creys-Malville, en région lyonnaise, que se voient échouer la mobilisation ; marquée souvent par la violence, notamment à Malville où les affrontements avec la police feront un mort chez les manifestant·e·s.
Affrontements avec la police sur le site de Gösgen - 1977 |
Centrale nucléaire de Fessenheim - 1970 env. |
Occupation du site de Creys-Malville - 1976 |
Pour autant, le mouvement écologiste reste indissociable d’un engagement pacifiste et d’une tradition anti-militariste qu’attestent encore une fois les films de Solange Fernex. Contre le nucléaire militaire, celle-ci se rend en effet au Japon, le 6 août 1978, à l’occasion de la Peace Memorial Ceremony. Célébrée chaque année depuis 1947, elle commémore les bombardements d'Hiroshima et de Nagasaki en 1945.
Peace Memorial Ceremony - Hiroshima - 1978 |
Le fonds Fernex démontre également l’intersectionnalité et la convergence des luttes propres au mouvement écologiste. La réalisatrice participe en effet à plusieurs manifestations organisées par le collectif Feminist Women for Peace. Le 22 juin 1981, elle prend part à la Marche pour la Paix au départ de Copenhague. Après avoir parcourues plus de mille kilomètres, les militantes arrivent à Paris le 5 août 1981 pour réclamer le désarmement nucléaire. Elles se réuniront également à la Haye devant la Cour Pénale internationale au nom des mêmes combats.
Marche pour la paix - 1981 |
Le fonds Fernex est donc remarquable pour reconstituer l’histoire du mouvement écologiste européen, encore peu racontée et pour révéler sa force et ses victoires, trop souvent ignorées. En effet, des douze projets de réacteurs nucléaires en Alsace, seuls deux aboutiront : Fessenheim I et II, démontrant la grande efficacité de la mobilisation et son caractère précurseur, annonçant les mouvements qui, 50 ans plus tard, sont pleinement d’actualité.
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