MiraMIRAMémoire des Images Réanimées d'AlsaceCinémathèque régionale numérique
Ralph Laclôtre a tourné 320 films, chacun d’une durée de 10 à 15’. Ces films ont été conservés dans d’excellentes conditions, d’abord par le cinéaste lui-même, puis par ses héritiers. C’est une chance exceptionnelle d’avoir pu entrer en contact avec cette famille, depuis longtemps en lien avec l’histoire du cinéma.
Ces films, tournés dans un format amateur, le 9.5, ont été réalisés par un professionnel du monde cinématographique. En effet, Ralph a travaillé pour Pathé pendant trente ans.
Né la même année que le cinématographe, en 1895, Ralph l’a accompagné toute sa vie. Son père, Gédéon Laclôtre, projetait des films comme forain : il fallait amortir le coût d’achat des films en les montrant dans différents lieux. Partout, le cinéma était alors surtout diffusé par des forains, dans leurs manèges-cinémas. Mais après le « coup d’état Pathé » par lequel les films n’étaient plus vendus, mais loués, il s’est sédentarisé, comme beaucoup de forains : il a ouvert un cinéma fixe à Vichy, puis à Limoges.
Trois hommes de cinéma : Ralph (1895 -1988), Gédéon (1869 – 1934), le père de Ralph, exploitant de cinéma avec son épouse Marie (1875-1959) et son petit frère Pierre (1902 – 1993) lui aussi exploitant. |
Or le cinéma, c’est le mouvement. Ralph, enfant de cinéma, ne peut qu’aimer le mouvement : les images en mouvement, mais aussi tous les sports, mais aussi les voyages, mais encore l’aventure. Il aime la nouveauté, et il accompagne celles de son siècle : nouveautés techniques (l’aviation, la voiture, la navigation…), essor des sports (le ski, le tennis, le golf…). Il aime la compétition, et il aime gagner. Mais c’est au cinéma qu’il décide de consacrer sa vie professionnelle. Sans doute grâce aux liens créés par son père, exploitant de salles, il est engagé chez Pathé, comme reporter. Il est cameraman pour les Actualités Pathé.
Ralph Laclôtre, correspondant du Pathé-Journal |
Même la guerre de 14 lui donne l’occasion de nouvelles aventures : il parvient à se faire enrôler dans l’aviation, qu’il pratique passionnément.
Après la guerre, il revient chez Pathé, et Jacques Pathé, un neveu de Charles Pathé, lui propose un poste de sédentaire pour organiser la diffusion d’un nouveau format amateur à venir. Ce sera le 9.5. Ralph est perplexe. Rester dans un bureau à Paris pour être sous-directeur chez Pathé ? Impossible. Dans une ITW réalisée par ses filles, il raconte qu’il a refusé le poste :
« Ah non, M. Jacques, je ne veux pas rester ici, j’étais opérateur de prise de vues ! Non, non, je suis trop habitué à voyager. - Ah, bon, bon, il m’a dit, et bien, prenez une carte et dites-moi ce que vous voulez … »
Alors Pathé lui propose de commercialiser le nouveau projecteur Pathé dans plusieurs départements français. Là, il est d’accord. Il choisit la moitié Sud de la France, et va sans cesse aller d’une ville à l’autre pour faire connaître et vendre le nouveau format.
Séduit par la perspective d’une vie d’aventures, Ralph est cependant un peu sceptique. Ce projecteur 9.5 qu’on veut lui faire vendre a-t-il des chances de trouver son public ? A l’époque, on considérait cela comme un jouet, comme il le dit lui-même :
« Ça ne s’appelait pas cinéma d’amateur. Il n’y avait pas encore la caméra. On achetait les petits films, c’était des jouets. (…) Donc, quand Jacques m’a dit : allez voir maintenant les clients... - Il faut voir qui, je lui ai demandé. Il me dit : les photographes et les bazars. Les photographes parce que la photo commençait à prendre. »
Il part dès septembre 1922, et le 1er novembre, une énorme campagne de publicité est lancée par Pathé sur le Pathé Baby. Enorme, elle couvre des pages entières de journaux. Ralph se rappelle :
« Ça a ailleurs bien réussi, le Pathé-baby est parti avec une facilité, ça a été fou, fou… »
Et voilà Ralph parti pour trente ans d’une vie folle, folle, folle ! Il est représentant pour le 9.5 dans tout le Sud de la France, 54 départements qu’il a choisis lui-même. Il proposait le Pathé-Baby aux magasins de jouets, aux bazars… L’année suivante, en 1923, Pathé sort la caméra 9.5, et là commence l’énorme boom du cinéma amateur, - auprès de gens fortunés surtout. Alors il en parle partout où il va : dans les clubs de tennis, de golf, à ses voisins, à ses fournisseurs, à tout le monde !
Mais jamais il n’oublie sa passion originelle pour la prise de vues, et il se promène partout avec sa caméra 9.5. Ses films, d’une grande qualité, deviennent eux-mêmes des supports de publicité : il organise des projections pour vendre de nouvelles caméras.
Ralph filmant à Vichy en 1924 |
En visionnant ce fonds prodigieux, on ne peut s’empêcher de penser que sa vocation de cinéaste était vraiment fondamentale. Ce n’est pas seulement pour faire du chiffre d’affaires qu’il filme la montagne, qu’il filme sa famille, qu’il filme tout ce qu’il aime. On sent un besoin d’enregistrer l’éphémère, de garder trace de la beauté du monde.
Ralph Laclôtre est un sportif passionné, qui se donne à fond dans son amour de l’action. Il est moniteur de ski, bien classé au tennis, excellent alpiniste, bon golfeur, pilote d’avion averti… Il a eu la chance de pouvoir mêler plaisir et activité professionnelle. Skieur, il accompagne Emile Allais, qu’il filme par amitié et par passion du geste. Emile Allais lui dira ensuite que c’est grâce à ses prises de vues qu’il a pu analyser son style et inventer une nouvelle technique de ski, « à la française[1] » : skis parallèles (et non pas en chasse-neige, à la manière autrichienne). Il sera d’ailleurs triple champion du monde en 1937 !
Très bon sportif, il adore assister aux compétitions, et filme les grands moments de l’histoire du sport français. Les premiers Jeux Olympiques d’hiver, organisés en France, à Chamonix, lui permettent de profiter de deux de ses passions : le sport et la montagne.
Ralph Laclôtre filmant les premiers Jeux Olympiques d’hiver en 1924 à Chamonix |
Il enregistre aussi les triomphes des « quatre mousquetaires » qui ont dominé le tennis mondial à la fin des années 20 et au début des années 30, ainsi que les meilleures joueuses françaises : Suzanne Lenglen, première star internationale du tennis féminin, et Simonne Mathieu, à la fois championne et grande résistante au sein de la France libre.
Ralph Laclôtre a fréquenté les plus grands champions de tennis, comme René Lacoste, Simonne Mathieu et Suzanne Lenglen |
Mais il aime aussi fréquenter les clubs de tennis les plus divers : Béziers, Toulon, Saint-Cloud, Cannes, Valence, Vichy, Aix-les-Bains, Nice… et partout filmer ses joueurs et joueuses préférés, sans oublier de jouer lui-même avec de très bons partenaires. Bien sûr, on peut penser que c’était aussi une occasion de parler de Pathé et de montrer les merveilles du 9.5. Son carnet de cinéaste est conçu non pas chronologiquement, mais en fonction des projections qu’il va organiser.
Ralph Laclôtre, joueur classé 2è série |
On pourrait aussi évoquer ses films sur les compétitions automobiles, les exploits de pilotes de l’air, les images du dr Bombard préparant sa traversée de l’Atlantique en zodiac, les folles audaces des meilleurs toréadors… Tout l’intéresse, - et nous intéresse ! Et ce d’autant plus qu’il a documenté ses prises de vues dans un carnet où il notait toutes les informations sur ses images.
Dans le carnet de bord de Ralph Laclôtre, chaque film est documenté : lieu, date, personnages filmés. Sur ces notes de 1925 et 1926, on peut lire « Borotra », « Lacoste », « Brugnon » et « Henri Cochet », c’est-à-dire les « quatre mousquetaires » du tennis français |
On retrouve dans le fonds Laclôtre une très grande quantité de séquences qui sont des essais cinématographiques : des sketches comiques, des scènes de drame, des mélos, des portraits en gros plans … Le cinéaste est omniprésent. Qu’est-ce que le cinéma, pour lui ? Son premier film est révélateur : des jolies femmes, des scènes de séduction en gros plan, des moments où lui-même fait le pitre sur un vélo d’enfant, ou sur un carrousel. Il est toujours en train d’essayer un nouveau langage, et de « faire du cinéma ». Ce qui pour lui est surtout synonyme de beauté féminine, de milieux très favorisés, de divertissements élitistes. Quand il se fait filmer « en société », c’est parmi les plus riches qu’il évolue, - il faut aussi admettre que c’est presque une obligation professionnelle.
Mais ce n’est qu’une des nombreuses facettes de cet homme de cinéma, qui connaît s’essaie à tous les aspects du cinéma.
Car par contraste, Ralph Laclôtre est aussi un passionné de nature, de la montagne en particulier. Il s’est formé avec les meilleurs guides, et est capable des courses les plus sportives. Sa caméra toujours prête, il filme la beauté des sommets alpins, les longues marches dans la neige, les montées à ski (peaux de phoque obligatoires !). Il sait prendre le temps de filmer les paysages, les lentes progressions de ses compagnons d’aventure, mais aussi les pauses joyeuses et fantasques, comme une dégustation d’huîtres en haute montagne. On est saisi par la simplicité de leur équipement : gants et bonnets en laine, pull-overs tricotés main, et accessoires rudimentaires : longs skis (on se demande comment ils pouvaient tourner dans un mètre de poudreuse !), sacs à dos contenant l’essentiel pour survivre à une longue virée entre amis dans une nature sauvage.
Originaire de Vichy, il y a passé plusieurs années, ce qui nous permet de découvrir des séquences incroyables tournées autour du maréchal Pétain. La grande histoire est donc présente, dans ce fonds exceptionnel.
Mais la petite aussi : il réalise ainsi un reportage formidable sur le Dr Bougrat. Originaire d’Annecy, ce héros de la Guerre de 14 s’installe comme médecin à Marseille après la guerre. Mais très vite il mène « la grande vie », collectionne les maîtresses, s’adonne au jeu et se retrouve complètement ruiné. Il est accusé d’avoir trucidé son meilleur ami pour lui voler l’argent qu’il avait sur lui, et est condamné au bagne à perpétuité par la cour d’assises d’Aix-en-Provence. Il parvient à s’échapper de Cayenne, se réfugie au Venezuela où il devient un héros populaire en soignant gratuitement tous les pauvres qui viennent vers lui. Il aura une statue, une école et une rue à son nom ! Ralph Laclôtre filme l’ambiance du procès à Aix, les avocats suffisants, les soldats qui entourent le tribunal… et la maîtresse de Bougrat. Quel journaliste !
Difficile d’être complet dans ce portrait, tant le personnage est riche et complexe ! Mais on ne peut passer sous silence tous les films tournés en famille, en particulier des scènes très touchantes dont les vedettes sont toujours ses deux petites filles, Myrtil et Leila. Elles sont nées alors qu’il avait déjà fait le tour de tous les plaisirs d’une existence aventureuse, et à plus de 50 ans il découvre émerveillé les joies de la paternité.
C’est grâce à ses deux filles, qui ont su conserver avec soin et intelligence ce fonds magnifique, que nous pouvons faire connaître au grand public ces images d’une qualité et d’une diversité exceptionnelles. Elles ont en effet confié à MIRA, en 2023, le soin de numériser, de documenter (avec elles, évidemment), et de valoriser ces films d’exception. Qu’elles en soient remerciées.
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[1] Film 202 : « Démonstrations, par Emile Allais, de la méthode française de ski » ;
31, rue Kageneck 67000 Strasbourg | Tél. 03 88 22 03 32 | www.miralsace.eu | contact@miralsace.eu
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