MiraMIRAMémoire des Images Réanimées d'AlsaceCinémathèque régionale numérique
Confié à MIRA en 2021, le fonds Kieffer, composé de dix films tournés en Super 8, témoigne de la vision idéaliste du cinéaste amateur. Fasciné par l'Afrique, désireux de partager son savoir-faire, et dans le cadre du Service National Obligatoire sous l'égide du ministère de la Coopération, il s'expatrie au Niger en 1972, où il enseigne alors dans un collège préfabriqué.
En 1969, l'Abbé Paul Émile Bernhard, nouvel aumônier de l'École Normale d'Instituteurs de Colmar, propose à ses élèves, dont le réalisateur Pierre Kieffer, de se joindre à une équipe de Routiers Scouts de France de Saverne. Le groupe ainsi constitué, une vingtaine de Normaliens et Routiers Scouts de France, réalise son premier voyage humanitaire en Iran, à Bekhadeh, un village situé dans le nord-est du pays au voisinage du Turkménistan. Exclusivement réservé aux lépreux·ses, il fut créé grâce à l'impératrice Farah Diba, épouse du Shah d'Iran, et à l'action de sa Fondation. L’année suivante, le cinéaste se rend à Zoétélé, au Cameroun, où il participe à de nouveaux chantiers de construction.
Marqué par ses dernières expériences, c'est naturellement qu'en 1972, Pierre Kieffer, désormais instituteur sous la tutelle de l'ancien ministère de la Coopération, s’expatrie au Niger, et plus précisément à Madaoua, où il enseigne dans un collège préfabriqué pendant trois années. Il y filme le paysage sahélien, les coutumes locales, la tenue de cérémonies traditionnelles, ses virées hippiques... Entre tempêtes de sable et périodes de sécheresse intense, le cinéaste amateur rend aussi compte des impressionnantes altérations climatiques si particulières à cette région du globe.
En 1969, le groupe humanitaire, composé de douze élèves de l’École Normale d'Instituteurs de Colmar, dont Pierre Kieffer, de leur aumônier ainsi que d'une dizaine de Routiers Scouts de France, s’envole pour l'Iran. Les jeunes font une première escale de trois jours au Liban. C'est l'occasion de visiter les somptueuses ruines de Baalbek, ancienne cité romaine, et particulièrement les temples voués au culte de Bacchus, Jupiter et Vénus. À Téhéran, en Iran, le cinéaste visite ensuite le majestueux Palais du Golestan, résidence où eut lieu le couronnement de Mohammad Reza Pahlavi, le Shah, avant d’atteindre la destination présagée : le village de Bekhadeh.
Peu de temps après son union, l’impératrice iranienne préside l’Agence de secours et de travaux contre la lèpre en Iran. Dans le cadre de cet organisme et en réaction aux croyances locales, qui interdisaient aux lépreux·ses de côtoyer les non-infecté·es, la commune de Bekhadeh fut bâtie sur les fondations d’un ancien relais dont on aperçoit les vestiges, à l’écart de toute population. Dès lors, les travaux des Normaliens et des Scouts français se partagent entre l’aménagement d’une piste d’accès au village à travers la montagne, des chantiers d’arpentage permettant de créer des parcelles agricoles irrigables et l’équipement d’une maison d’un point de vue sanitaire pour le futur médecin de la léproserie. Pierre Kieffer documente ces actions tout en nous livrant des portraits intimistes de quelques reclus·ses.
Enfants atteints de la lèpre à Bekhadeh © Fonds Kieffer |
Séduit par son séjour iranien, le groupe de Normaliens, toujours à l'initiative de l'abbé Bernhard, décide d'organiser un deuxième voyage humanitaire au Cameroun, à Zoétélé, au cours du mois de juillet 1970. Il sera accueilli par le Père Charles Stintzi, missionnaire originaire de Colmar et fondateur de la mission.
Pendant quatre semaines, répartis en différentes équipes, les Normaliens s’appliquent à la récolte des arachides, restaurent un pont pour faciliter l’accès de leur vieille voiture à la sablière et repeignent différentes salles de classe. Entre la mise en place de charpentes et de toitures en tôles d’aluminium (que le Cameroun produit en masse), ils s’investissent notamment dans une entreprise de grande ampleur, et qu'ils poursuivront lors de leur retour au Cameroun en 1971 : l'installation de vitraux pour la basilique catholique de Zoétélé et la mise en place de cloches provenant d'une fonderie basée à Ingersheim. Pendant son séjour, Pierre Kieffer admire aussi, non sans inquiétude, par le biais de sa caméra Super 8, la faune et la flore équatoriales. Les images retransmettent son respect pour la culture locale. Avec minutie, il s’attarde longuement sur les grimpeurs de palmiers à la recherche de fruits, les tisserands d’osier et artisans.
Le clocher de la basilique de Zoétélé © Fonds Kieffer |
Un engouement réciproque ? Les villageois·es conviaient chaque soir ou presque les Normaliens à des soirées dansantes rythmées par des balafons (cousins du xylophone occidental). Lors de son second voyage, il nous offre enfin de belles images d’une communauté Pygmée. Les gros plans et les portraits, faisant écho aux photographies ethnographiques, mettent l’accent sur les particularités physiques et culturelles du groupe.
En octobre 1972, aux côtés de cinq autres coopérants, Pierre Kieffer, fraîchement diplômé de l'École Normale d'Instituteurs de Colmar, arrive à Niamey, capitale du Niger, où il est accueilli par le représentant des Renseignements Généraux, un cadre intermédiaire de l’Éducation nationale chargé de communiquer aux bureaux de la Coopération à Paris un compte-rendu des activités des coopérants.
En atteignant Madaoua, la commune dans laquelle il est missionné, il découvre son lieu de travail : les bâtiments préfabriqués d’un collège. De mi-septembre à mi-décembre, en raison de la température élevée (37°), les résident·es dorment sur la terrasse voire à distance des logements. Ces images détonnent avec le confort perceptible des coopérants.
Lors de ses excursions dans la brousse, le cinéaste amateur longe le fleuve Niger, ses cultures de coton ainsi que ses infrastructures pyramidales composées de sacs d’arachides.
Le réalisateur se familiarise d’emblée avec le marché de Madaoua, qui anime régulièrement la vie du village. C’est ici que les habitant·es conditionnent du mil et du sorgho, la principale ressource alimentaire aussi bien humaine qu’animale, dans des sacs de raphia tressé.
Le premier film de la série sur le Niger donne à voir les festivités de la fête nationale nigérienne. Cette dernière est célébrée par un imposant défilé qui réunit, parmi d’autres, militaires de rang, chefs coutumiers, cours de griots et Touaregs voyageant à dos de dromadaire depuis Agadez (ville localisée au Nord du pays). En parallèle, les villageois·es participent à d’impressionnantes prières collectives musulmanes.
Prière musulmane © Fonds Kieffer |
Pierre Kieffer visite également un marché de poteries aux abords de Tessaoua, à quelques kilomètres de la frontière nigérianne. Au Dahomey (Bénin), il arpente la ville lacustre de Ganvié et les rives de l’Ouémé, des environnements naturels donnant lieu à de splendides images. Le cinéaste assiste notamment à des fêtes Peuls, l’une des plus importantes tribus de bergers et d'éleveurs.
En 1974, cette même communauté subit dramatiquement une importante sécheresse. Contrainte d’abattre ses troupeaux épuisés par les fortes chaleurs, et pour qui le bétail représente la seule richesse, elle sacrifie plusieurs centaines de bêtes afin d'en assécher la viande et d’atténuer les pertes financières. Ce sont alors des séquences choquantes à la tonalité apocalyptique – des entassements de carcasses à perte de vue, des enfants qui martèlent le crâne d’un bœuf – que Pierre Kieffer capture de ce désastre. Et ce n’est pas le seul événement marquant auquel il assiste.
Un amoncellement de carcasses animales © Fonds Kieffer |
Au cours d’un rallye automobile, du Cap jusqu’à Munich, organisé dans le cadre de la Coupe du Monde de football, les participant·es font une escale à Madaoua pour réparer les véhicules. Ils affrontent, en même temps que le cinéaste, de violents vents qui créent de gigantesques nuages de sable capturés sur le vif.
Au coeur d'une tempête de sable © Fonds Kieffer |
Essentiellement peuplé de trois ethnies musulmanes, le Niger accueille les Peuls, les Haoussa (à majorité dominante) ainsi que les Touaregs. Ces derniers, avec qui Pierre Kieffer entretient de forts rapports amicaux, convient souvent les coopérants à des férias, durant lesquelles se tiennent notamment des courses de chameaux.
Une féria avec les Touaregs © Fonds Kieffer |
Fou de sports équestres, Pierre Kieffer porte une affection toute particulière à son cheval, Hansi, qui se traduit à l’image. C’est avec lui que le réalisateur prend plaisir à sillonner les dunes et à galoper dans les vallées. D'autant plus que la commune de Madaoua se réunit chaque dimanche pour des courses hippiques. Malheureusement, sans pedigree, impossible de transporter Hansi en France. Avec regret, Kieffer vend son cheval de course à un négociant nigérian avant de repartir à Strasbourg.
Au regard des récents soulèvements africains contestant l’ingérence française, ces archives minoritaires et grandement précieuses, nous permettent de retracer et documenter l’histoire ainsi que les prémisses du post-colonialisme. Elles attestent surtout des aspirations idylliques et humanistes du cinéaste, définitivement épris de l'Afrique.
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