MiraMIRAMémoire des Images Réanimées d'AlsaceCinémathèque régionale numérique
Composé de 21 films en 8 mm, le fonds Menninger a la particularité de nuancer avec finesse les représentations du colonialisme. Sans négliger sa part de responsabilité dans l'exploitation des ressources minérales africaines, Paul Menninger nourrit l'espoir d'un dialogue nouveau entre deux cultures a priori inconciliables. Pendant les années 1950, il vit dans une partie reculée du Sénégal, ancienne colonie française. En mission à Djifer (Djifère), presqu’île occidentale du pays, l’ingénieur nous lègue de rares archives d’une industrie minière alors pilotée par la fabrique alsacienne de produits chimiques Thann & Mulhouse.
Ingénieur pour la fabrique de produits chimiques Thann & Mulhouse, Paul Menninger quitte son Alsace natale pour la presqu’île sénégalaise de Djifer, située à une centaine de kilomètres de Dakar. Muni de sa caméra 8 mm, il nous lègue des images d’archives d’un Sénégal rural, alors colonie française, pendant les années 1950.
En 1956, pour le compte de l’usine Gaziello et Compagnie, le cinéaste amateur Paul Menninger coordonne le sondage des terres et cours d’eau environnant l’île de Djifer, à la recherche de minerais.
Avant les indépendances africaines, Djifer, comme la plupart des villages voisins, se morcelle en deux parties distinctes. Alors que les habitant·es vivent dans les cases typiques de la région, l’administration coloniale loge dans des bâtiments annexes. En arrière-plan du chef du village, immortalisé par Paul Menninger dans un de ses nombreux portraits, les deux mondes (culturel et architectural) maintiennent une certaine distance. Seules les échoppes d’artisans et de commerçants à proximité des habitations permettent d’offrir un terrain de cohabitation. L’embarcadère bordant le fleuve Saloum, à quelques mètres du complexe industriel, demeure pourtant le principal lieu de rencontres entre les habitant·es et les expatrié·es coiffé·es de leur salacot (chapeau colonial).
Des commerçants devant leur boutique |
Au fil de ses déambulations dans les territoires frontaliers au Sénégal, comme l’île de Gorée ou la Gambie encore britanniques, les images de Paul Menninger rendent compte de la forte influence européenne sur la culture et les croyances locales. Après une procession dans la commune voisine de Palmarin, plusieurs pères blancs érigent notamment un autel destiné à la Vierge-Marie et… la reine Elizabeth II. À Dakar, lors de son immersion au Marché Kermel à l’architecture néo-mauresque, le réalisateur filme les fameuses Galeries Lafayette et plusieurs enseignes françaises.
Un autel avec une illustration de la Vierge-Marie et une photographie de la reine Elizabeth II |
En présence de leur mère, les deux fils Menninger, Jacques et Claude, au cours de plusieurs séquences embarquées dans un hors-bord (arborant le pavillon tricolore), observent d'un oeil impressionné le paysage singulier. En dehors de quelques scènes familiales et festives (la fête nationale française), le cinéaste n'oublie jamais les raisons de sa venue. Par un enchaînement de travellings, les films donnent à voir, d'après un point de vue rétrospectif, la désuétude des machines qui peuplent les abords de l’usine minière Gaziello et Compagnie. Équipée d’un groupe électrogène, elle a l'avantage d'alimenter à elle seule l’ensemble du hameau. Le cinéaste filme chaque étape du processus de transformation des minerais, chantier qui ne manque pas de nous interpeller par son aspect rudimentaire.
Les machines de l'usine Gaziello et Compagnie |
Entre les extractions offshore et sablières, les ouvriers noirs, supervisés par les ingénieurs européens, s’attèlent à trier, décanter et nettoyer les ressources issues des terres. Une curieuse séquence nous dévoile ainsi les travailleurs autour de gigantesques foreuses à tarières, outils utilisés pour le perçage du sol.
Des ouvriers sénégalais sur des foreuses |
Les films de Paul Menninger nous renseignent sur les dernières années productives de l'industrie Gaziello et Compagnie – qui déposera son bilan en 1968, peu après l’indépendance du Sénégal. Ils constituent tout autant une ressource éminemment précieuse pour nous faire comprendre l’ambiguïté des rapports entre l’Europe et ses colonies.
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