Par Thomas Bernolin

Confiée à MIRA en 2019, la collection personnelle de Géo Rieb se compose de 13 films aux sujets très variés. Il est également le réalisateur de 5 films pour la compagnie Électricité de Strasbourg. L'ensemble de ses productions dépasse la stricte pratique du cinéma amateur. Les images de nature, de vie rurale et urbaine en Alsace, côtoient des films d'entreprise ou des archives scoutes.

Fils de Geoffroy Rieb, tromboniste et leader du groupe D'Luschtige Steckelburjer (Les Joyeux Strasbourgeois), Géo Rieb hérite d'une sensibilité artistique analogue. Dès les années 1930, il jette pourtant son dévolu sur une autre mélodie : celle des images animées. Lors de la postproduction de ses films, il accompagne toutefois les rushs d'une bande sonore composée par son père. À ce titre, le film "Musique de mon père" prend les traits d'une tendre déclaration d'amour. Désireux de l'intégrer dans le processus de création, le fils rend ainsi hommage à son aîné. Par un angle de vue serré, il y expose les vinyles, entassés les uns sur les autres, et la pochette des Joyeux Strasbourgeois. 

Ingénieur pour la compagnie Électricité de Strasbourg, dont il filme les exercices dans les années 1960, Géo Rieb pense les images avec pragmatisme. Sans doute influencée par l'effervescence de la Nouvelle Vague française, la composition de ses films impressionne, tant par sa beauté plastique que par ses choix de cadrage. Surtout, elle nous invite à reconsidérer la barrière symbolique qui oppose le film amateur à la pratique professionnelle. 
 

© Géo Rieb, fonds Électricité de Strasbourg

Attaché à sa région natale, connue pour son agriculture et sa Route des Vins, le cinéaste brosse notamment le portrait du berger Henri Michel dans son film "Le Troupeau". Ce dernier y conduit un élevage de moutons dans le quartier strasbourgeois de Cronenbourg. En même temps qu'elles inscrivent le passage du temps, ces images détonnent par leur caractère quasi-surréaliste. Accoutumé à l'industrialisation grandissante, notre regard contemporain peine à imaginer qu'alors, rencontrer un troupeau aux abords d'une ville sur son trajet quotidien était monnaie courante. 
 

© Géo Rieb, fonds Rieb

Figure importante du scoutisme protestant en Alsace, commissaire régional des Éclaireurs Unionistes, Géo Rieb nous lègue un film d'une grande richesse historique : "Jamborée de la Paix Moisson 9 au 18 août 1947". En 1947, il se déplace à Moisson, dans les Yvelines, pour assister au Jamborée mondial, premier rassemblement scout post-guerre réunissant 24 152 personnes. La cohabitation des camps scouts algériens, anglais, français, indiens, islandais, marocains, mexicains, néo-zélandais, et tant d'autres, célèbre la trêve internationale et promeut la diversité. Une démarche évidemment politique après six ans de conflits nationalistes. La venue du commandant militaire Jean de Lattre de Tassigny, qui franchit l'arche d'entrée, est en ce sens symbolique. Celui-ci fait effectivement partie des héros de la guerre et de la Libération de l'Alsace pendant l'hiver 1944-45. Le lâcher de l'énorme ballon en forme de planète Terre, faisant office de cérémonie de clôture, donne lieu à des images saisissantes.
 

© Géo Rieb, fonds Rieb

Les films de Géo Rieb témoignent d'un attrait pour la simplicité du quotidien de jadis qu'il magnifie grâce à sa maîtrise du film sur pellicule, acquise pendant ses formations au Photo-Ciné-Club d'Alsace (PCCA). Ami proche du Dr Henri Ulrich, un des membres fondateurs de l'association Alsace Nature, le cinéaste arpente en sa compagnie la vallée bas-rhinoise, notamment la forêt du Herrenwald près de Brumath, pour observer les oiseaux et discuter des problèmes de défense de la nature. Des sorties communes auxquelles son fils Jean-Pierre était parfois convié et qui l'ont sans doute inspiré pour la réalisation de ses propres films, quelques décennies plus tard. C'est avec le plus grand soin que celui-ci représente par exemple une floraison en vitesse accélérée (timelapse), un procédé stylistique qui nécessite une dextérité rigoureuse. 
 

© Jean-Pierre Rieb, fonds Rieb

De l'ensemble de la collection de Géo Rieb, on retient le désir généreux de transmettre ses savoirs de chef scout, de valoriser le patrimoine alsacien et transposer sur pellicule les beautés de l'instant T. Il n'est donc pas étonnant que son fils, Jean-Pierre, soit atteint de la même frénésie créative, celle de redécouvrir le monde grâce à la liberté offerte par la caméra.