MiraMIRAMémoire des Images Réanimées d'AlsaceCinémathèque régionale numérique
Le 17.5 ? C’est un format mal connu. Il a pourtant joué un rôle majeur dans le déploiement du cinéma sur tout le territoire français en général, et alsacien en particulier. Il fête en 2024 ses cent ans, c’est une bonne occasion de le sortir d’un oubli injustifié.
17.5 mm, c’est la largeur de la pellicule utilisée. Un projecteur avait été mis au point dès 1898 par le méconnu Birt Acres, mais c’est Pathé qui va le lancer dans les années 20. L’appareil Pathé est mis au point en 1924. Il est présenté à la presse et aux professionnels au Congrès international du cinématographe en 1925. Il sera commercialisé dans toute la France en 1928. En 1929, une Motocaméra permettra aux diffuseurs de réaliser leurs propres films, pour un public local toujours heureux de se voir à l’écran. En 1932, un appareil sonore permettra de diffuser des films parlants, ce sera le Pathé Junior. En 1933, le Pathé-Natan propose aux particuliers une caméra sonore 17.5.
Le Pathé Rural, grand promoteur du format 17.5 |
Charles Pathé s’en explique :
M. Charles Pathé a l’honneur de signaler à MM. les membres des commissions du CIC [Congrès International du Cinématographe] que, en vue de l’application du cinéma à l’enseignement aussi bien que pour la vulgarisation du spectacle cinématographique dans les campagnes, la Société Pathé-Cinéma vient de mettre au point un appareil de projection dit « Pathé-Rural », robuste, simple, pouvant être utilisé sans connaissances spéciales par des mains inexpertes[i].
Pathé explique clairement sa volonté de développer au maximum l’exploitation cinématographique, en mettant la projection à la portée d’amateurs, et en créant une entreprise de gestion du 17.5 : c’est le Pathé-Rural. Pathé Rural envoie des caisses en bois contenant projecteur, films et notices de documentation sur l’appareil et les films. Tout en un, prêt à l’usage. L’appareil peut recevoir des bobines d’au moins 250 mètres, ce qui, d’après Anne Gourdet-Marès[ii], représentent environ 27 minutes de projection à 16 images par seconde. Le projecteur peut être acheté ou loué, à des tarifs intéressants.
Les avantages du 17.5 |
À cette époque le format standard est le 35 mm, utilisé dans toutes les salles de cinéma. Il y a aussi le 9.5, le « Pathé-Baby », mis au point par Pathé en 1923, pour une utilisation familiale. Pour des projections en salles plus modestes, Kodak a lancé le 16mm. Pathé veut réagir à cette concurrence, en proposant un format « safety », non inflammable (contrairement au 35mm nitrate), mais adapté à un grand écran et à une projection devant plusieurs centaines de personnes, c'est à dire un spectacle public et non plus une projection familiale.
La largeur de 17.5 mm, moitié exacte du format-roi 35 mm, offre effectivement une image de belle qualité sur un grand écran convenant à une projection publique. La pellicule est entrainée grâce à des perforations placées sur les coins de l’image. Cela donne une image aux coins arrondis, comparable à celle que verront plus tard les détenteurs des premières télévisions.
Les programmes du Pathé-Rural répondent à ces objectifs très variés.
Distraction : il s’agit de permettre aux habitants des campagnes (les ruraux sont alors très majoritaires en France), de bénéficier d’un spectacle cinématographique de qualité. Bien entendu, il s’agit aussi pour Pathé de capitaliser sur cette nouvelle diffusion de ses films.
Pathé Rural diffuse le cinéma dans les territoires privés de salle de cinéma. |
Enseignement : au départ, Pathé imagine un cinéma scolaire en 17.5. Mais là il se heurtera à la concurrence du 16 mm, privilégié par le ministère de l’éducation, aux dépens d’un cinéma 17.5 jugé trop proche de l’Eglise. Une exception : l’Alsace, où le Cinéma Rural d’Alsace-Lorraine est très soutenu par les instituteurs.
« Propagande » : au sens du terme dans les années 20 (on dirait plutôt aujourd’hui « publicité » ou « communication »), c’est la diffusion d’idées aussi bien que de techniques jugées encore trop peu connues ; ainsi le ministère de l’agriculture va s’appuyer sur le cinéma pour diffuser de nouvelles méthodes agricoles. Mais aussi « propagande » politique, par exemple en Alsace : dans cette province alors agitée par des revendications autonomistes (Procès de Colmar, qui en 1928 condamne les autonomistes alsaciens ; élection d’un maire communiste à Strasbourg, grâce à l’appui des autonomistes, en 1929), le Pathé rural soutiendra l’attachement à la France. « Propagande » catholique aussi, très présente dans toute la France, et très forte en Alsace, dans le cadre du cinéma du curé. Il s’agit surtout de maintenir les jeunes et les familles dans l’orbite paroissiale.
Les films proposés constituent des programmes entiers, de 2h30 de projection : comiques, dessins animés, documentaires, actualités « Pathé Revue », et « grand film ». Le catalogue s’étoffe d’année en année, grâce à l’adaptation en 17.5 des films 35 mm de Pathé, et à l’achat de droits auprès d’autres producteurs. Les séances avaient souvent lieu le samedi soir et le dimanche en matinée et en soirée. Pathé suggère aussi un accompagnement musical à ces films.
Le 17.5 a connu un très grand succès à l’époque du muet. Pour tous, c’était un magnifique spectacle, enfin accessible dans les villages et petites villes dépourvus de salles de cinéma. En Alsace, Charles Hahn, pionnier du cinéma, fonde en 1928 le Cinéma Rural d’Alsace et de Lorraine, avec la devise : « Cinéma Rural cinéma überall ». La direction en sera confiée à son fils Emile Hahn. Cette société anonyme jouera en effet un rôle très actif dans la diffusion du cinéma dans l’Est de la France, en s’appuyant sur son partenariat avec Pathé, qui offre en effet des possibilités nouvelles.
Caisse contenant projecteur et film, envoyée à un restaurant alsacien organisateur de séances de cinéma. |
Le Cinéma rural d’Alsace et de Lorraine a permis des milliers de projections dans tout l’Est de la France. En 1929, il organise 7000 représentations en Alsace et en Lorraine, et jusqu’à plus de 11 000 représentations en 1931, dans les auberges, les écoles, les salles paroissiales, les associations…
Le Cinéma Rural d’Alsace et de Lorraine diffuse des films 17.5 Pathé dans tout l’Est de la France. |
Catholique et cinéphile, son directeur Emile Hahn bénéficie de l’appui et de la confiance de l’Eglise catholique. Francophile convaincu, il est soutenu par les dirigeants politiques hostiles au séparatisme des autonomistes, dans le cadre du Groupement d’Alsacien d’Entente Nationale. En 1930, cet organisme regroupe 775 délégués, dont 13 conseillers généraux, 161 maires, 141 instituteurs, 6 pasteurs et curés. En 1931-32, le Cinéma d’Alsace et de Lorraine dessert 460 communes, et s’est installé dans les auberges, les salles paroissiales, et les écoles. La censure de l’Eglise rassure curés et familles.
Emile Hahn (à l’extrême droite) en compagnie d’autorités de l’Eglise et du cinéma (années 30). |
Mais les difficultés s’accumulent dans les années 30. Il y a d’abord le triomphe du cinéma parlant dès 1930 dans les salles alsaciennes. Très vite, le public demande ce nouveau média et boude les films muets. Mais à cette époque les Alsaciens, surtout dans les campagnes, parlent surtout le dialecte. En 1932, le Cinéma Rural d’Alsace et de Lorraine ne fait plus de bénéfices, et a dû supprimer une quarantaine de concessions. Il lui faudrait des films français parlant allemand. Il cherche partout, en France et en Allemagne.
Pour Pathé, la réponse est négative : il n’y a pas un marché suffisant. Pour les Allemands, là aussi le Cinéma Rural d’Alsace et de Lorraine essuie en 1933 un refus de la part de la UFA, la grande firme germanique :
Nous regrettons beaucoup de ne pouvoir donner suite au désir que vous avez manifesté. Dans l’exploitation des films étroits nous poursuivons un but tout à fait spécial, et il nous est pour le moment impossible de vous fournir des renseignements quelconques à ce sujet.
Hitler est arrivé au pouvoir et a tout de suite pris le contrôle du cinéma ; l’Allemagne hitlérienne ne va pas collaborer avec une entreprise francophile ! De plus, en 1933, le géant allemand Agfa choisit le 16 mm. En 1936, la faillite de Pathé-Natan annonce une fin programmée. En 1938, le décès prématuré d’Emile Hahn, puis en 1939 la guerre, suivie de l’annexion de l’Alsace en 1940, sonnent le glas du 17.5.
L’interdiction du 17.5 par les nazis, en Alsace puis dans la France occupée (in Le Film, 21 juin 1941). |
Aujourd’hui les films 17.5 sont encore rares dans les collections de MIRA, et les films sont menacés, comme toujours, par la disparition des projecteurs qui permettent de les visionner. Mais la recherche continue et des pistes sont en vue…
GOURDET-MARÈS, Anne, Collection des appareils cinématographiques de la Fondation Jérôme Seydoux Pathé, FJSP.
GOZILLON-FRONSACQ, Odile, Cinéma et Alsace. Stratégies cinématographiques 1896-1939, thèse éditée par l’AFRHC, 2003.
KERMABON Jacques (dir.), Pathé, Premier Empire du cinéma, Centre Georges Pompidou, 1994.
SHAHMIRI Elvira, Le cinéma partout et pour tous. Une histoire des formats réduits Pathé en France (1912-1939), thèse de doctorat, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2022.
[i] Communiqué de Charles Pathé annonçant la présentation de l’appareil, cité par Louis D’HERBEMONT, « Le congrès international du cinématographe : Présentation d’appareil, le Pathé-Rural », Le Cinéopse, octobre 1926, n°86, p. 862.
[ii] GOURDET-MARÈS, Anne, Collection des appareils cinématographiques de la Fondation Jérôme Seydoux Pathé, FJSP.
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