MiraMIRAMémoire des Images Réanimées d'AlsaceCinémathèque régionale numérique
Dérivé du jeu de paume, le faustball (ou « fistball »), alliant littéralement poing et balle, constitue l’un des plus vieux sports du monde : les premières traces de son existence remontent au troisième siècle avant J-C. Importé en Allemagne en 1870 par Georg Weber, il est originaire de l’Europe du Sud, probablement de l’Italie. Ses règles, naviguant entre celles du football et du volley-ball, ont été officialisées en 1894. Considéré à l’époque de son essor comme un effort de compensation pour les gymnastes du dimanche, il devient rapidement un sport de compétition au même titre que le football ou le rugby.
Très pratiqué en Allemagne dès le XXème siècle comme prolongement de la gymnastique, le faustball met l’accent sur la performance sportive collective. Il n’est pas étonnant que, dès ses débuts, le faustball ait été particulièrement prisé par les pays germanophones.
Dans la deuxième moitié du XIXème siècle, la gymnastique historique allemande (Turnen), soutenue par les autorités prusses et les éducateurs, prépare les jeunes générations à défendre leur patrie. L’initiateur de cette politique scolaire, Friedrich Ludwig Jahn, pense la gymnastique comme un moyen de forger des mentalités nationalistes. En instaurant des séances hebdomadaires de gymnastique dès l’enseignement élémentaire après l’intégration de l’Alsace-Lorraine à l’Empire allemand en 1871, le chancelier Bismarck mise sur les effets bénéfiques du Turnen qu’il considère comme un instrument de germanisation à part entière. Le sport tel que le faustball participe ainsi à raviver la culture allemande des Alsaciens, mise en péril par la France.
En 1941, dans le nouveau Gau de Bade-Alsace, un cinéaste anonyme capture un match de faustball se tenant dans un stade très correct pour l’époque. Un mince filet divise le terrain et les deux équipes. Le film démarre par un travelling dévoilant les membres d’un des groupes : face caméra, les cinq joueurs tendent leur bras gauche en l’air. Le salut nazi sera réitéré après la mi-temps. Depuis la prise du pouvoir du NSDAP, les athlètes ont effectivement l’obligation de jurer leur allégeance au Führer avant la tenue d’une compétition. La pratique du sport devient ainsi un vecteur pour attirer les adeptes vers des engagements plus politiques.
Les associations sportives de nature confessionnelle, laïque et syndicale sont dissoutes pendant l’été 1940. Les ligues disparaissent pareillement et seuls sont autorisés les clubs habilités et affiliés à la Fédération nationale-socialiste pour l’éducation physique (Nationalsozialistischer Reichbund für Leibesübungen).
Plus ou moins trentenaires, ces hommes évitent de fait le risque de l’enrôlement de force dans la Wehrmacht, l’armée allemande, qui plane surtout sur les plus jeunes. Sous le vernis de promotion du bien-être mental et physique, le sport prépare surtout aux mobilisations militaires prochaines. Le film appartenant à Martin Ott et faisant partie des collections de MIRA depuis 2016 montre comment la pratique du sport a été, après les premiers essais de Bismarck, réemployée par le régime nazi pour promouvoir son idéologie.
Ces sportifs sont-ils Allemands ou Alsaciens ? Le film ne donne aucun indice pour y répondre. Adolf Hitler, quant à lui, est catégorique : l’Alsace est d’essence germanique. Elle doit être épurée de toute influence francophile. Son annexion n’est donc qu’un juste retour des choses. Pour faire de l’Alsace une région allemande, le Gauleiter Wagner lance immédiatement de grandes campagnes de propagande pour sensibiliser les indécis à la cause nazie. Le sport figure parmi ses cibles privilégiées : dès le 18 août 1940, à l’occasion du match de football opposant Strasbourg et Pforzheim, le Racing Club de Strasbourg est par exemple germanisé, devenant le Rassensport Club Strassburg. Les nazis voient en la pratique sportive une mesure d’ « hygiène raciale » pour renforcer et affirmer la supériorité de la classe aryenne. Les faustballeurs du film correspondent à ce titre aux stéréotypes physiques loués par le régime nazi : caucasiens, minces, musclés. Focalisant son attention sur les frappes au poing isolées, le cinéaste compose une certaine glorification du corps athlétique, rappelant quelques scènes héroïques de l’Olympia de Leni Riefenstahl (1936).
Suivant de près les échanges de la balle, le réalisateur porte l’accent sur le sentiment de camaraderie. La compétition entre les camps adverses est transcrite à travers de larges plans qui laissent deviner le caractère amical de la rencontre. Le sport, tel qu’il est inculqué et promu par les nazis, se traduit jusqu’à l'esthétique des images.
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