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xxx FILMS | xxx COLLECTIONS

MiraMIRAMémoire des Images Réanimées d'AlsaceCinémathèque régionale numérique

Écrits sur images
      • Les images d'elles

      • Par Pascaline Morincôme
        Dans le cadre de l'exposition Hope for change. Hackney Flashers de Londres à Strasbourg au CEAAC
      • Première de couverture du livret

        Dans les archives MIRA [i], la cinémathèque d'Alsace dédiée aux films amateurs, je cherche des images de femmes qui, au même moment que celles photographiées par les Hackney Flashers [ii], à la maison ou au travail, s'occupent de leurs enfants ou de celleux des autres. 

        Parmi les 6 000 documents conservés, beaucoup de personnes filmées sont des femmes. Les « filmeurs » comme on les appelle à MIRA, sont la plupart du temps des hommes, dans un monde tacitement hétérosexuel. On y voit des femmes en rendez-vous romantiques, qui se marient, s'en vont parfois calmement à la maternité et en ressortent, comme par magie, en robe du dimanche, un bébé dans les bras. On y trouve aussi des images de femmes au travail : des ouvrières, des secrétaires, des boulangères, des vendeuses, des figures politiques, des assistantes maternelles, des infirmières, des enseignantes, des comptables, des femmes au foyer... Le plus souvent, à l'écran, elles sont souriantes, ou semblent du moins vouloir faire plaisir à la caméra. 

        Mais à partir de la naissance des enfants, les images dans les collections changent, les femmes sont tronquées. À l'écran, je vois surtout leurs mains, des bouts de corps qui s'occupent des enfants. Le visage du bébé est au centre de l'image, la femme passe souvent au second plan. C'est pourtant dans ces films de famille que j'aperçois les premières images de femmes fatiguées. Filmées par leurs proches, le plus souvent leur mari, elles se laissent aller, montrent la réalité de leur quotidien. 

        Je m'arrête en particulier sur l'un de ces films, Premières années (1973-1975), réalisé par Gérard Guth. Le jeune père y documente la naissance de sa fille ainée, Caroline, jusqu'à son deuxième anniversaire. Gérard Guth est né en 1939, il travaillait comme commercial pour la société Cellophane et réalisait des films sur son temps libre, en 8 mm d'abord avec une caméra achetée lors de son service militaire en Algérie, puis en 16 mm. Les films de Guth se composent de longs plans, précis et attentifs aux expressions et aux émotions de ses sujets. Le montage est rigoureux, en particulier pour faire un film avec deux ans d'images.

        Dans une séquence, Gérard Guth s'arrête sur un plan de son épouse Annie. En tablier, l'air fatigué, elle s'installe quelques minutes dans une chaise longue pendant que sa fille se rafraîchit dans une pataugeoire à côté d'elle. Gérard, tout en jetant un œil sur l'enfant, observe le duo depuis l'autre côté de la terrasse et semble ne pas vouloir troubler ce moment, tant il sait sans doute qu'il est précieux. J'apprendrai plus tard que lorsque se tournent ces images, Annie est enceinte. Le film s'arrête symboliquement sur cette pause bienvenue que s'offre la mère de cette jeune enfant de deux ans. On s'imagine pourtant que ce répit est de courte durée avec l'arrivée prochaine d'un bébé. 

        Page 5 du livret

        Au milieu des films de famille, je découvre Les enfants de (1970), signé par Charles-Henri Waag. C'est un objet à part dans les archives MIRA. C'est d'abord une fiction, chose plutôt rare dans les collections. Sa grande ingéniosité, ses références, son adresse aux spectateur·ice·s interrogent aussi la notion même de cinéma amateur. 

        Les enfants de est un « méta » film de famille dans lequel Huguette Waag, l'épouse de Charles, et leurs enfants, Christophe et Patrice, jouent leur propre rôle. Le film commence au retour de la mère à la maison le soir. Il la suit depuis la préparation du dîner, le suivi des devoirs et jusqu'au coucher des enfants, quand elle a enfin quelques minutes à elle pour tricoter devant la télévision en attendant le retour de son mari. Depuis la fenêtre des bâtiments de la Canardière dans le quartier de la Meinau, l'un des premiers grands ensembles strasbourgeois construits à partir de 1957, Charles-Henri filme le parking et l'entrée de la résidence, dans l'espoir impossible que sa propre voiture arrive. La seule manière qu'il rentre, c'est que le film s'arrête, mais la séquence s'étire alors que le père de famille met en scène sa propre absence. 

        Charles-Henri Waag (1943-2015) était topographe-géomètre au service de remembrement rural de Strasbourg, membre du parti communiste et syndicaliste. Huguette Moreno a travaillé pendant un temps au centre de chèques postaux de la ville. Ensemble, iels ont collaboré sur plusieurs projets en Super 8 réalisés par Charles-Henri. Ces images transmettent à la fois leur engagement militant, leur intérêt pour l'histoire de l'urbanisme corrélée aux questions politiques et sociales, et une cinéphilie évidente.

        Les enfants de est une terrible métaphore de la parentalité hétéronormative et occidentale de l'époque, valable encore aujourd'hui à de nombreux égards. Les discriminations de classes sont le sujet de presque tous les films du fonds Waag. Ponctué de multiples références cinématographiques et littéraires, Les enfants de est une critique assumée de la société capitaliste et patriarcale et des différents régimes de domination que peuvent subir les femmes mais aussi les enfants. Charles met ainsi en scène la lecture par l'un de ses fils d'un texte militant qui évoque le lien entre mépris de classe et politique urbanistique. La télévision, comme détraquée, diffuse convulsivement des images de femmes éplorées face la violence de leur mari et un extrait de La Bête humaine (1938) de Jean Renoir, le récit d'un féminicide adapté du roman de Zola. L'attention aux gestes du quotidien filmés parfois dans leur intégralité et en plan large, précède ainsi Jeanne Dielman 23, quai du Commerce, 1080 Bruxelles de Chantal Akerman, sorti en 1975.

        Je me demande si ce film réalisé par Charles-Henri a aussi été écrit par Huguette. La question de l'implication des femmes dans les collections MIRA, comme ailleurs, est parfois difficile à évaluer. Le titre du film pourrait pourtant sous-entendre une forme de ventriloquie en faisant directement référence au roman-vérité d'Oscar Lewis, Les enfants de Sánchez [iii], autobiographie d'une famille mexicaine parue en 1961 et retranscrite par l'anthropologue.

        C'est avec Les enfants de que je prends conscience de l'étrangeté de vouloir travailler sur la condition féminine et enfantine à partir d'une collection presque exclusivement filmée par des hommes. Le film de famille, ce grand projet des pères, devient parfois la preuve tangible de leur position d'observateurs de leur propre vie de famille et trahit la répartition genrée du soin apporté aux enfants. Plus je passe du temps à regarder des films dans les locaux de MIRA, plus j'ai l'impression de percevoir en filigrane le travail des femmes. Et si le temps passé par les femmes à s'occuper de la maison et des enfants pouvait être corrélé aux nombres de films faits par les hommes ? Combien ça fait 6 000 films en charge mentale ? 

        Page 9 du livret

        Je cherche aussi des images d'enfants gardé·e·s par d'autres, pendant que leurs parents travaillent. Sans surprise, ce sont plutôt des femmes qui s'y sont intéressées et ont tourné ces images. 

        La décennie 1970 représente en France un moment de transition dans la manière dont les politiques publiques considèrent la garde d'enfants [iv]. La crèche Stenger-Bachmann de Strasbourg (1977), filmé par Marie-Thérèse Fleurov (1928-2024) à l'intérieur de l'établissement éponyme, témoigne entre les lignes de ce moment. La Fondation Stenger-Bachmann ouvre en 1906 avec le but d'aider les mères en difficulté afin qu'elles puissent travailler pour gagner leur vie. Jusque dans les années 1940, puis pour « repeupler » la France d'après-guerre, les politiques publiques encouragent plutôt les femmes à ne pas travailler avec la volonté de favoriser la natalité et contribuer à diminuer la mortalité infantile. En 1941, le gouvernement de Vichy crée notamment l'allocation de salaire unique pour soutenir les familles dont les mères restent à la maison. En 1945 sont également inaugurés les centres de PMI (Protection Maternelle et Infantile) qui ont pour mission de contribuer à la santé des mères et des enfants jusqu'à six ans, en particulier pour les familles les plus précaires. Avec le baby-boom et la progression du chômage, à partir des années 1960, un basculement s'opère : les femmes sont encouragées à travailler. Pour sécuriser aussi la garde d'enfants, de plus en plus de crèches municipales sont ouvertes et l'État français cherche à intégrer à l'économie formelle le métier de nourrice en le dotant d'un statut. En 1977, année où est tourné le film de Marie-Thérèse Fleurov, une loi oblige la formation de toutes les personnes qui accueillent des enfants. Ces images de la crèche Stenger-Bachmann sont ainsi captées à l'aube de cette professionnalisation. 

        La gestion du lieu était alors confiée aux sœurs de Saint-Joseph de Saint-Marc. La direction est assurée à l'époque par sœur Ancilla, amie de Marie-Thérèse Fleurov, qui lui permet de tourner ces images. Les bras des religieuses, leurs regards et leurs attentions sont bien plus maternels que ce que l'on connaît aujourd'hui du métier d'assistante maternelle ou éducatrice de jeunes enfants. Elles câlinent, elles embrassent. Les enfants sont plus nombreux·ses qu'à l'heure actuelle, mais l'atmosphère qui se dégage du film paraît apaisée. À voir les tout petits se presser à quelques centimètres de la pelleteuse venue remplir leur bac à sable, les questions de sécurité semblent également moins contraignantes. 

        Infirmière de profession, Marie-Thérèse Fleurov s'intéresse particulièrement aux gestes des sœurs et ces images témoignent d'une grande tendresse. La caméra devient à son tour un objet de soin et filme depuis l'intérieur, à hauteur d'enfants, et propose ainsi une autre approche face à l'extériorité performée par les pères. 

        Page 13 du livret

        Cette professionnalisation progresse à l'approche des années 1980. L'augmentation des temps d'ouverture, qui accompagne l'évolution du monde du travail et la progression des politiques hygiénistes, modèle et formalise progressivement les modes de garde. Sous l'égide des centres de PMI chargés du respect des normes d'accueil, les crèches, après 1968, deviennent aux yeux de certains parents des entités de contrôle des corps et de la parentalité. Au sein de ces crèches qu'on qualifie alors de « sauvages » et en parallèle du développement des écoles alternatives, les parents s'organisent et se relaient auprès des enfants. Iels renouent ainsi avec un mode de garde hors du circuit institutionnel, qui s'organisait auparavant dans l'entourage familial. Ces formes d'organisation collective comportaient une dimension volontairement militante afin de penser la reproduction de la vie quotidienne au sein d'un projet politique communautaire. 

        Cette histoire, j'avais bien sûr l'espoir de la trouver dans les collections de la cinémathèque. S'il y a peu de militant·e·s parmi les déposants de MIRA, je découvre pourtant le fonds Solange Fernex (1934-2006). Figure majeure des mouvements anti-nucléaires en Alsace, Solange Fernex est également fondatrice en 1973 du premier parti écologiste français et députée européenne de 1989 à 1991. Comme d'autres, elle est une figure importante pour penser le lien entre écologie, pacifisme et féminisme [v]

        Au début des années 1970, elle participe à différentes occupations de terrain, dont la Mobilisation contre l'usine de plomb à Marckolsheim (1974) au sujet de laquelle elle réalise plusieurs films. Avec sa caméra Super 8, Solange Fernex documente la vie quotidienne de la première ZAD d'Europe, et en particulier l'aspect populaire, trans-national et trans-générationnel des mouvements écologistes alsaciens. Pour permettre aux familles et en particulier aux mères de participer, un système de garde s'organise sur le camp. Dans le film, on voit notamment une femme âgée aider aux devoirs et surveiller les enfants pendant que les mères peuvent assister aux assemblées et participer aux activités du camp. La contribution des femmes, et notamment des femmes au foyer, a en effet été décisive pour la victoire à laquelle a conduit l'occupation de Marckolsheim. Dans Solange Fernex, l'insoumise [vi], la militante explique comment leur présence au quotidien a permis de faire vivre l'occupation lorsqu'une majorité d'hommes devaient aller travailler la journée. C'est aussi elles qui ont tenu tête aux politiques lors des négociations, n'ayant que peu à perdre à passer leur journée sur le terrain occupé plutôt qu'à la maison, quand les hommes étaient prêts à renoncer. Dans le film, on voit aussi les enfants de Solange Fernex qu'elle amène souvent avec elle. Dans le livre d'Elisabeth Schulthess [vii], elle affirme ainsi un prolongement entre ses activités politiques et sa place de mère, liées par une même responsabilité de sauvegarde du vivant. 

        Ces espaces militants à Marckolsheim ou ailleurs, et l'histoire des modes de garde nous rappellent que confier son enfant, en fonction des époques, des lieux et des origines sociales des personnes, peut être aussi libérateur que symptomatique des formes d'oppression subies ou exercées. Moi aussi, pour aller regarder des heures de films à MIRA et pour écrire ce texte, chaque matin, je dépose mon enfant à la crèche à des professionnel·le·s pas assez payé·e·s pour le métier qu'iels font et qui confient parfois leurs propres enfants pour s'occuper de celleux des autres. Je fais pourtant partie de l'une de ces premières crèches « sauvages » fondées à Paris en 1978, aujourd'hui financées par la CAF, et qui ont donné naissance au format des crèches parentales. 

        Il y a quelques semaines, j'ai discuté au téléphone avec Antoine, l'un des enfants de Solange Fernex, éleveur dans le Haut-Rhin et militant écologiste. Je le sens distant, peut-être peu enclin à l'idée de répondre à mes questions. Alors, à la fin de notre entretien, je lui demande s'il a lui aussi des questions à me poser. Il me demande en quoi cette exposition et la projection des films peuvent contribuer à la lutte. Et je ne sais pas quoi lui répondre. Qu'avons-nous gagné, qu'avons-nous perdu avec l'institutionnalisation de nos histoires militantes et de nos combats féministes ? 

        Page 17 du livret

        Il y a tout ce que ces images racontent, et tout ce qu'elles ne disent pas. Je vois des femmes et des enfants à l'écran, dont je ne sais rien ou très peu. Qui sont ces femmes lorsqu'elles ne s'occupent pas de leurs enfants ou de celleux des autres ? 

        Je regarde de nouveau Annie Guth s'occuper de sa fille dans le film tourné par son mari, Premières années. On la voit dans un très beau plan allaiter son bébé quelques heures après avoir accouché. Là encore, le film montre un moment de transition, avant la dévalorisation progressive de l'allaitement à l'approche des années 1980, accentuée par la quantification des corps des bébés et un contrôle toujours plus grand sur celui des mères [viii]. On voit aussi Annie Guth nourrir à la cuillère, changer, habiller, baigner, bercer, endormir son enfant. On la devine tricotant, cuisinant, nettoyant, cajolant, éduquant. Mais mise à part cette scène de quelques minutes de repos au soleil sur la terrasse, que pensait-elle ? Que faisait-elle quand elle ne s'occupait pas de ses enfants ? 

        Avant de rencontrer son mari, Annie Guth (1937-2007) a étudié aux Beaux-Arts de Nancy. Une fois marié·e·s, iels ont vécu quelque temps à Paris puis se sont installé·e·s à Nordheim dans la banlieue de Strasbourg au moment de la naissance de leur première fille. Annie, qui est alors enseignante en arts plastiques dans un lycée et a auparavant travaillé pour un architecte d'intérieur, choisit, à la naissance de Caroline, de se consacrer au soin des enfants. Pourtant, comme Gérard fait des films, Annie poursuit différentes activités artistiques tout au long de sa vie. Dans une scène bucolique du film, on la voit mener sa fille de deux ans à dos d'âne, suivie par un groupe d'enfants. En essayant de comprendre cette scène, j'apprends que l'été, elle proposait des ateliers aux enfants du village qui ne partaient pas en vacances. Une des pièces de la maison avait également été transformée en studio de dessin et de peinture pour les accueillir après l'école. Annie a aussi publié deux livres dont elle a réalisé les illustrations. Le premier, édité sous son nom de jeune fille, Annie Croisier, dédié à la cueillette des plantes sauvages [ix], me permet d'apprendre qu'elle aussi, comme Huguette Moreno, a contribué à l'écriture d'un des films de la collection MIRA signé par son mari. Beautés menacées (1987) s'intéresse à la colline de Nordheim, située derrière la maison des Guth, à sa biodiversité et aux dangers qui la guettent. 

        Travailler à partir d'une collection de films amateurs, c'est aussi s'interroger sur ce que recouvrent nos définitions du professionnalisme. La pratique d'Annie, même menée en parallèle de son rôle de mère, n'en fait-elle pas une artiste quand la plupart de celleux que nous considérons comme tel·le·s aujourd'hui ont un travail alimentaire ? 

        Page 21 du livret

        Dans les archives MIRA, il y a très peu d'images de personnes racisé·e·s. Le monde n'y est pas exclusivement blanc, mais presque. D'une certaine manière, le film tourné à la crèche Stenger Bachmann par Marie-Thérèse Fleurov fait office d'exception. J'ai essayé d'en savoir plus sur certaines des femmes que l'on y voit s'occuper des enfants, membres de la congrégation Saint-Joseph de Saint-Marc et arrivées d'Inde quelques années plus tôt. Grâce à l'aide des sœurs du couvent principal de la congrégation, établi à Gueberschwihr, j'obtiens quelques éléments. Deux d'entre elles, sœur Nathalie et sœur Elia, se sont formées aux métiers du soin après leur expérience à la crèche. Sœur Nathalie est arrivée en 1967. Elle a suivi des études d'infirmière avant de retourner vivre dans l'une des communautés de la congrégation qui ouvrent à partir de 1947 en Inde, où le christianisme s'accroît dès le XVeme siècle au moment de la colonisation portugaise. Sœur Elia, arrivée en France en 1974, quitte le couvent en 1981 pour devenir auxiliaire de puériculture. Elle vit toujours à Colmar. J'aurais voulu pouvoir la rencontrer, savoir pourquoi elle a choisi de quitter l'Inde pour entrer dans la congrégation, comment le temps passé à la crèche l'a peut-être décidée à devenir puéricultrice dans un cadre laïque. 

        Au-delà de leurs parcours personnels, ces images des sœurs nous racontent une histoire singulière de l'Alsace, où le travail social était souvent lié à l'église. Mais elles nous parlent aussi de l'histoire coloniale européenne qui se poursuit dans les métiers du soin et de la garde d'enfants encore aujourd'hui. 

        Page 23 du livret

        À travers les films issus des collections de MIRA, il est assez difficile d'évoquer la question du genre, anachronique ou du moins absente des cultures des filmeur·euse·s. Si le monde tel qu'il y apparaît est tacitement hétérosexuel et cis-genre, je cherche les signes, même discrets, d'identités dissidentes. 

        Comme au cinéma, la question du travestissement y est pourtant avant tout un sujet de moquerie. Tabliers et textiles de Saint-Louis (1955) montre les étapes de confection, par des ouvrières en majorité, de robes et de blouses de travail. Dans l'une des dernières séquences du film, une mannequin présente les différents modèles vendus par la société. Un homme entre ensuite dans le champ, rieur, un tablier de cuisine pour petite fille épinglé sur sa blouse de travail. La caméra montre les employé·e·s autour de lui, amusé·e·s par cette étrange scène de travestissement. Il y a pourtant quelque chose d'assez tragique dans l'idée que ces femmes travaillent pour produire des vêtements qu'elles ou d'autres, le soir venu, enfilent pour entamer leur deuxième journée. Cette idée devient d'autant plus terrible quand on imagine des petites filles en 1955, de la même génération qu'Annie Guth et Huguette Moreno, porter ces tabliers pour se préparer à leur vie d'adulte. De la maternité au travail et du travail à la maison, c'est une boucle infernale qui s'annonce alors pour les femmes qui doivent nourrir et habiller leurs enfants des vêtements que d'autres produisent dans les usines et ateliers, tels que ceux filmés par René Klein, Paul-André Jacquel et Jean-Marie Hummel.

        En cherchant des images d'enfants à l'école, je découvre pourtant une petite fiction réalisée par une classe de CM1 en 1980 à l'école mixte de Munchhouse avec leur enseignant, Jean-Jacques Marck. Avec son épouse, Pierrette Marck, elle aussi enseignante, iels ont tourné de nombreux films, notamment au sein du monde associatif, et lors de multiples voyages à vélo. Grâce à une astucieuse technique d'animation des dessins d'enfants, Comment les escargots sont devenus hermaphrodites ? (1980) raconte les aventures de Coquillou et Escarguette qui font l'école buissonnière pour se promener dans un jardin aux mille laitues. Mais Coquillou, obéissant et serviable, est retardé sur son chemin ; Escarguette, impatiente et aventurière, est arrivée bien avant lui. Elle ne reconnaît pas son ami qui, afin d'accélérer son allure, s'est débarrassé de sa coquille. De chagrin, elle se recroqueville pour toujours dans la sienne. Coquillou se glisse alors sous la carapace de son amie, pouvant maintenant devenir « tantôt fille, tantôt garçon, tantôt garçon et tantôt fille ». Mon regard contemporain veut voir dans ces images une métaphore de la notion de genre : quelque chose que l'on enfile comme une coquille vide, dans laquelle on peut aussi bien choisir de se replier, de porter fièrement sur son dos, ou de laisser derrière soi. Cette fable imaginée par les enfants devient ainsi à mes yeux une possible porte de sortie dans l'univers clos que forment les autres films. 

        Il y a quelque chose qui peut sembler étrange à regarder ces films aujourd'hui, alors que certains portent en eux le caractère privé des films de famille ou du journal intime. La plupart étaient pourtant tournés pour être diffusés : Marie-Thérèse Fleurov et son mari Serge Fleurov organisaient régulièrement chez elleux des projections lors desquelles iels invitaient leurs ami·e·s et collègues de travail. L'existence d'un générique au début du film de Charles-Henri Waag laisse aussi deviner un projet de diffusion, peut-être au sein du cinéclub « Regard commun » dont il faisait partie et dont certains des membres ont contribué au tournage. Jean-Jaqcues et Pierrette Marck, quant à elleux, ont montré plusieurs de leurs films dans le cadre des universités populaires. 

        Ces images nous racontent par l'intime une certaine histoire sociale et politique de l'Alsace. Mais la complexité des trajectoires personnelles qu'elles dévoilent nous rappelle aussi l'importance de ne pas réduire les personnes filmées au rôle social et familial qui leur a été assigné. En soulignant la multitude des conditions auxquelles sont soumis nos choix et nos vies, elles nous disent aussi que de petites comme de grandes échappatoires sont possibles. Enfin, dans l'ombre des films montrés, dans l'absence de certaines images, réside aussi l'espoir de faire exister d'autres identités et d'expérimenter d'autres formes de parentalité. 

        Page 28 du livret  Page 29 du livret

         

        Le livret se termine par des images et photogrammes tirés des collections de MIRA.

         


         

         

        [i] : Mémoire des Images Réanimées d'Alsace.

        [ii] : Les films qui sont présentés dans l'exposition ont été tournés entre le début des années 1960 et le début des années 1980.

        [iii] : Oscar Lewis, Les enfants de Sánchez (1961), Céline Zins (trad. fr.), Paris, Gallimard, 1963.

        [iv] : Ce passage est notamment informé par la lecture de l'article de Jeanne Fagnani, « Children Policies in France: The Influence of Organizational Changes in the Workplace » publié dans S. Kamerman, S. Phipps, A. Ben-Arieh, (dir.), From child welfare to child well-being: an international perspective on knowledge in the service of making policy, vol. 1, Dordrecht, Springer, p. 385-402.

        [v] : Solange Fernex attribue la notion d'éco-féminisme en France à Françoise d'Eaubonne. 

        [vi] : Elisabeth Schulthess, Solange Fernex, l'insoumise : écologie, féminisme, non-violence, Barret-sur-Méouge, Yves Michel, 2004.

        [vii] : Ibidem.

        [viii] : Je reprends les termes d'un très beau texte écrit sur le sujet : Irene Maffi, « Le bébé quantifié. Ethnographie des pratiques d'allaitement au début du XXIeme siècle » dans Allaiter de l'Antiquité à nos jours : Histoire et pratiques d'une culture en Europe, Turnhout, Brepols, 2023.

        [ix] : Annie Croisier, La Cueillette 10 mois de l'année, Paris, Centre d'Étude et de Promotion de la Lecture (CEPL), 1979.

         

      • Publié le 21/12/2025

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