MiraMIRAMémoire des Images Réanimées d'AlsaceCinémathèque régionale numérique
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Publicité pour équipements vidéo de JVC en 1983 : la vidéo permet aussi bien d'enregistrer ses émissions préférées que de filmer son quotidien. |
C’est dans les années 1980 que les filmeurs et filmeuses amateurs se retrouvent face à un choix cornélien pour enregistrer leurs souvenirs de famille : celui de troquer leurs bonnes vieilles caméras S8 pour ce nouvel objet qu’est le caméscope. En ce temps-là, les arguments de vente en faveur de la vidéo sont nombreux : temps d’enregistrement plus long, pas de développement en laboratoire, maniabilité accrue... [i] Pour beaucoup, le choix est fait, même si les plus puristes (et le cinéma professionnel) s’entêtent.
Parmi les dépôts faits à MIRA, nombreux sont les fonds composites mêlant super 8, Hi8 et miniDV et les témoignages d’une transition naturelle de la pellicule à la cassette. Pourtant, la révolution technologique de la vidéo est un casse-tête pour l’archiviste car cette continuité n’existe que dans l’œil du spectateur. En réalité, la rupture technologique est totale !
Si les années 1980 sont la décennie de l’adoption de la vidéo dans la pratique amateure, elles ne correspondent en rien à l’avènement des usages domestiques de la technologie vidéo, qui a lieu avec l’invention de la télévision.
Alors que le cinéma nait en 1895, de nombreux efforts sont déjà entrepris pour transmettre des images via un signal électrique. Le film et la vidéo avancent selon deux trajectoires parallèles dès la seconde moitié du XIXe siècle et ne se rejoindront qu’après plus d’un siècle.
Le film sur pellicule est principalement le fruit de travaux de recherches en optique. Il est le descendant de la photographie, mise en mouvement au travers de mille et un mécanismes qui créent peu à peu une illusion du mouvement convaincante. La célèbre projection des films Lumière au Salon Indien du Grand Café à Paris le 28 décembre 1895 fait date mais nombre d’expérimentations ont eu lieu auparavant et se poursuivent ensuite pour dompter la couleur [ii] et la 3D [iii].
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Schéma de fonctionnement de l'Electro-Artograph de Noah Steiner Amstutz en 1895 (à gauche) |
Photographie d'Édouard Belin testant son appareil de transmission d'images à distance en 1920 (à droite) |
L’histoire de la vidéo, quant à elle, n’est pas une histoire d’optique, mais un fragment minime de la grande aventure du XIXe siècle, celle de l’électricité ! Il s’agit de transmettre une image animée à distance – la télé-vision, ou voir (vision) de loin (télé) – en utilisant un signal électrique. C’est une technologie qui fait suite à des inventions dans le domaine de la communication comme le télégraphe, le téléphone ou le télécopieur. Les scientifiques vont travailler près de 100 ans à développer le système le plus performant pour scanner, encoder en signal électrique, décoder, puis projeter une série d’images en mouvements. Dans cette histoire, il n’est pas encore question d’enregistrer ces images, autrement que… sur une pellicule de film !
Quand nait la technologie vidéo, la question de l’enregistrement est superflue. La diffusion des images est simultanée et n’est pas destinée à être enregistrée. Les systèmes télévisés sont destinés à être montés sur des drones et autres engins de surveillance. Si les recherches sont déjà riches dans les années 1880, c’est dans l’entre-deux-guerres que des avancés concluantes ont lieu et posent les jalons d'une utilisation militaire et grand public [iv].
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John Logie Baird expérimentant la transmission d'images animées via un signal électrique (à gauche) |
Image vidéo d'Oliver Hutchinson, collaborateur de John Logie Baird datée de 1926 environ (à droite) |
L’adaptation de ces progrès à des fins de divertissements est déjà en gestation des deux côtés de l’Atlantique, mais c’est à Londres que la BBC lance le premier système de diffusion d’images vidéo destiné au grand public entièrement basé sur un système électronique, le 2 novembre 1936. En 1939, elle fait rapidement 23 000 déçus car les émissions s’arrêtent pour rediriger les moyens de télédiffusion de la BBC vers l’effort de guerre [v].
Ce n’est donc qu’après 1945 que la télévision conquiert les foyers. Pour autant, c’est la caméra 8mm puis l’indétrônable Super 8 qui est brandie par les filmeurs amateurs à la même époque. La vidéo est une technologie, calquée sur la radio, visant à apporter des images produites par des professionnels, aux masses, via le poste de télévision. A la BBC comme dans les chaines américaines ou à l’ORTF, on enregistre les programmes destinés à être rediffusés sur de la pellicule que l’on scanne ensuite afin de transformer les images en impulsions électriques [vi].
Mais le processus coute cher et l’on ne tarde pas à diriger les efforts vers la conception d’un support physique pour la vidéo. Ce nouveau support sera inspiré de la cassette audio : il s’agira d’une bande magnétique dont les propriétés permettent l’enregistrement du signal électrique. L’adaptation à la vidéo n’est pas sans obstacle car l’espace nécessaire pour stocker les informations liées à ce signal électrique est beaucoup plus important (pensez à la différence de poids aujourd’hui, entre un fichier informatique audio et son équivalent vidéo de même durée).
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L'Ampex VRX-1000, premier magnétoscope à bande magnétique |
Une fois la vitesse de défilement de la bande magnétique vidéo améliorée grâce à un mécanisme rotatif plus compliqué, les cassettes vidéo analogique, puis numérique, peuvent être commercialisées [vii]. Le premier magnétoscope, le Ampex VRX-1000, crée en 1956 permet de lire une bande magnétique enroulée sur une bobine libre, comme le film pellicule [viii]. Il est très volumineux et extrêmement couteux ; le grand public ne peut pas y accéder. La cassette U-matic développée par Sony voit le jour en 1971, à l’usage des professionnels. En 1975, Sony commercialise la cassette Betamax. Initialement conçue pour l’enregistrement grand public de programmes télévisés, elle devient support d’images amateurs en 1983 grâce au nouveau camescope Betamovie. Malgré tout, c’est la VHS introduite par JVC en 1971 qui s’imposera comme l’incontournable de la vidéo amateur et de l’enregistrement des programmes télévisés chez soi. Video8 (1985), Hi8 (1989), miniDV (1995) et autres suivront avant d’être supplantés en moins de 30 ans par le tout numérique.
L’histoire de la bande magnétique dans le cinéma amateur durera moins de 30 ans. Si sa popularité auprès du grand public conduit à une prolifération des images, professionnelles comme amateurs, dans la sphère domestique, elle reste associée à un support fragile et de qualité moyenne. D’ailleurs, le cinéma professionnel ne s’y trompe pas, passant directement de la pellicule au tout numérique.
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De gauche à droite - une cassette Betamax, un caméscope Betamovie et une pile de cassettes VHS |
La technologie vidéo repose sur le principe du scanner. Une image est divisée en lignes, elles-mêmes divisées en points, les pixels.
Pour capter l’image, le faisceau lumineux est guidé à travers l’objectif afin d’atteindre un capteur fait de plusieurs cellules chargées de convertir le signal lumineux en signal électrique. Pour diffuser l’image sur un écran de télévision, le signal électrique passe à travers un tube cathodique, via lequel un faisceau d’électrons est envoyé, point par point, ligne par ligne, sur une plaque d’éléments chimiques qui vont réagir à la charge et ainsi, reproduire l’image.
L’image vidéo est donc très différente de l’image photo. Les dégâts sur une pellicule touche chaque image individuellement, chacune d’elles existant physiquement sur le support. Pour l’image vidéo, si la bande est abîmée, c’est le signal qui est compromis. Les images n’y sont pas stockées indépendamment les unes des autres.
De plus, pour décoder le signal enregistré sur les bandes et le « transformer » en images, il faut des équipements en bon état et aux bonnes normes. Si en Europe, la télévision ajoute une 25e image par seconde par rapport au cinéma, au Japon et aux Etats-Unis, on passe à 30 images/seconde. Le système vidéo est aussi ajusté à la fréquence du signal électrique adopté pour le réseau domestique et quiconque s’est déjà lancé à la recherche d’un adapteur pour son téléphone portable, sacrifiant ainsi quelques heures de vacances aux limites de la technologie peut s’imaginer les difficultés rencontrées.
Le signal encodé doit inclure des informations concernant la luminance, mais rapidement s’ajoutent les informations relatives à la couleur. Là encore, selon les régions du monde, plusieurs systèmes cohabitent : le NTSC aux Etats-Unis, le PAL en Europe et la spécificité française, le SECAM [ix].
Enfin, coexistent dans les archives familiales, la vidéo analogique (VHS, Betamax, video8 et Hi8) et la vidéo numérique (miniDV, Digital 8 ou DVCam). Alors que la première utilise les grandeurs physiques du signal électrique pour encoder le signal, la seconde fonctionne avec le système binaire adopté en informatique (où toutes les informations sont une suite de 0 et de 1).
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La bande magnétique, un support fragile qui entraine des pertes d'information souvent irréversibles. |
Dans le cas d’une lecture difficile via un projecteur ou une visionneuse pour un film sur pellicule, l’impact est moindre pour la numérisation car le technicien scanne la pellicule directement, et non l’image diffusée par le projecteur.
Pour la numérisation de la vidéo, en revanche, impossible de scanner les informations à même la bande magnétique : ce ne sont pas des images mais l’encodage d’un signal électrique ! Sur vidéo, rien n’est possible sans le bon décodeur : une cassette SECAM lue par un magnétoscope PAL ne restituera pas les informations couleur, il faut un adapteur analogique-numérique pour passer de la cassette analogique au fichier informatique…
Les machines de lecture, leur état de fonctionnement, leurs performances et leur comptabilité avec les supports d’enregistrement et avec les machines contemporaines capables de transformer l’information en fichiers numériques sont autant de paramètres qui font de la sauvegarde du patrimoine vidéo, un challenge.
Et c’est encore sans évoquer le son, dont l’inclusion, bien qu’elle fût déjà possible avec la pellicule, se généralise avec la vidéo !
Pour aller plus loin, vous pouvez consulter le site de Memoriav.ch qui inclut une liste des principaux formats vidéos, leur date de mise sur le marché et d'autres détails techniques et un glossaire de termes pour poser les bases.
Merci à Nicole Fernández Ferrer, fondatrice et co-présidente du Centre audiovisuel Simone de Beauvoir, pour son aide dans les recherches préalables à la rédaction de cet article.
[i] Panasonic met en avant l’automatisme (« by itself”) comme l’avancé phare de son offre vidéo en 1983. 1983 Panasonic TV Commercial – A « lightweight » and « portable » video system. Publié sur Youtube par Panasonic Australia, 4/09/2024 https://www.youtube.com/watch?v=dN7YSoEC11E
L’affiche publiée pour promouvoir le Canon Accu-Vision met en avant des performances équivalente à celle des chaines de télévision et la portabilité de l’appareil (taille et poids, durée d’enregistrement, autonomie de la batterie).
[ii] Par exemple le Lee and Turner, procédé anglais breveté en 1901 (voir Céline Ruivo. Conférence « Les débuts du cinéma en couleur (1/5) : Pour une histoire du film trichrome », Festival Toute la Mémoire du Monde, 2023.
[iii] La première présentation d’un film 3D au public a lieu à New-York en 1915. Voir Alexandre Joux, « Le cinéma 3D, la troisième révolution du cinéma » dans La Revue Européenne des médias et du numérique, n°10-11, été 2009.
[iv] Lipton, Lenny. The Cinema in Flux : The Evolution of Motion Picture Technology from the Magic Lantern to the Digital Era. Spring, 2021 : 631 - 633
[v] ibid : 663, 665
[vi] ibid : 663, 665
[vii] ibid : 687
[viii] Voir par exemple les collections du Museum für Kommunikation de Francfort. Videorecorder Ampex VR 1000-B. Ampex Corporation, Redwood City, Californie 1961
[ix] Adopté également dans les anciennes colonies françaises et belges, la Grèce et Chypre, certains pays du Moyen-Orient et l’ancien bloc communiste.
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